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qu’une forteresse jusqu’au moment où les Turcs s’en emparèrent en 1464. Mais, dès l’année suivante, deux seigneurs bosniaques, — les premiers qui, d’après la tradition, se firent renégats pour sauver leur fortune, Sokolovitch et Zlatarovitch, à qui appartenait vraisemblablement le territoire d’alentour, — commencèrent à élever des maisons au pied du palais fortifié ou Seraï, que Khosrev-Pacha, le premier vizir turc de Bosnie, avait construit sur l’emplacement du vieux château (Starigrad). C’est de là qu’est venu le nom de Bosnaï-Serai (le palais de la Bosna), que les Slaves ont abrégé ou simplifié en Serajewo. Bientôt, tant à cause de la valeur stratégique et économique de son site que par suite de la présence du vizir, Serajewo prit une grande importance, et fut la résidence favorite des janissaires ou spahis bosniaques, sorte de milice turbulente affiliée à l’aristocratie provinciale dont elle était issue et qui devint peu à peu le boulevard du fanatisme musulman et des franchises du pays. En effet, les Slaves bosniaques, en se convertissant à l’islamisme, avaient entendu conserver une large autonomie locale, et fidèles aux traditions de leur race, ils avaient gardé, sous le gouvernement des califes, leurs libertés municipales. Lorsque, de simple camp de prétoriens, Serajewo fut devenue une ville et la plus importante de toute la province, les spahis qui l’avaient créée obtinrent des privilèges tout particuliers. En réalité, leur constitution municipale faisait de leur cité une petite république féodale et indépendante sous la suzeraineté du sultan. Les citoyens élisaient leurs anciens, et les familles terriennes des environs y étaient représentées par des starechinas héréditaires. A côté de ceux-ci, les marchands et les artisans constituaient des bratsva ou corporations fraternelles, et chaque corps de métier élisait ses chefs.

A l’abri de ce véritable gouvernement communal, les spahis de Bosnaï-Serai, activement protégés par les janissaires de Stamboul, devinrent peu à peu les véritables maîtres de la Bosnie, et réussirent même à éloigner de leurs murs le vizir représentant le pouvoir central. Une loi municipale à laquelle ce fonctionnaire dut se soumettre, lui interdit de passer plus de deux jours chaque année dans la capitale, où, par une compensation insuffisante, sinon ridicule, il était hébergé aux frais de la ville pendant ces quarante-huit heures de tolérance. Le reste du temps, il résidait à Trawnik, où il n’était même pas à l’abri de la tutelle jalouse qui pesait sur lui; car s’il avait le malheur de faire quelque chose qui déplût aux anciens de Serajewo, ceux-ci portaient plainte à Constantinople et l’infortuné pacha ne tardait pas à être relevé de sa fatigante sinécure.

Cette situation avait porté au plus haut point le sentiment d’indépendance des habitans de Serajewo; aussi lors des tentatives de Mahmoud II, au commencement de ce siècle, pour détruire les