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on ne saurait comparer Benvenuto Cellini, qui a fait trois ou quatre statues, à Jean Boulogne, dont l’œuvre est si considérable; mais est-il un marbre ou un bronze de Jean Boulogne dont on voudrait avoir le moulage chez soi de préférence à celui du Persée?

Jean Boulogne qui n’est peut-être pas un artiste supérieur à Cellini occupe dans l’histoire de la sculpture une place tout autrement importante. Il prit l’ébauchoir à quinze ans et le tint d’une main ferme jusqu’au jour de sa mort. Tandis que Cellini dépensait ces heures qu’on ne retrouve pas à de menus travaux, quand il ne les perdait pas dans les aventures, Jean Boulogne ne sortait pas de son atelier. Ses œuvres sont innombrables. Florence les montre sur les places publiques, sous la Loggia, au fond des églises, dans les musées, dans les palais, dans les jardins, dans les villas suburbaines, et on retrouve le sculpteur à Pise, à Bologne, à Lucques, à Orvieto, à Gênes, à Arezzo, à Madrid, à Valladolid, au musée du Louvre, au musée de Douai. Colosses, statues équestres, groupes, bustes, figurines, bas-reliefs, Jean Boulogne a tout fait, donnant la forme au bronze et la vie au marbre. C’est un don enviable que la fécondité quand elle ne s’allie pas à une trop grande facilité. La facilité est un des caractères de la sculpture de Jean Boulogne. Il a surtout les qualités d’un décorateur de génie. Ses conceptions sont ingénieuses et mouvementées; il cherche l’effet plus que le style, le pittoresque plus que le beau. Jean Boulogne apparaît comme un praticien savant et habile qui n’ignore aucune des ressources de son art, mais dont l’exécution, si remarquable qu’elle soit, n’a pas l’accent des grands maîtres. Ses têtes sont banales ou vulgaires. « Regardez à la tête, » disait Préault en entendant louer une figure de Pradier. La critique portait juste. Les sculpteurs grecs, que ceux qui les connaissent mal représentent comme sachant seulement rendre la forme, mettaient le type et l’expression du visage en harmonie avec la beauté du corps; c’est en imprimant à la face humaine le beau typique et la physionomie individuelle, en l’ennoblissant par la pensée ou en l’animant par le sentiment, que les maîtres de la sculpture moderne ont achevé leurs statues et leur ont donné le rayonnement suprême.

Les principales œuvres de Jean Boulogne sont le Mercure volant, les quatre grands groupes : Samson et les Philistins, la Vertu enchaînant le Vice, l’Enlèvement d’une Sabine, Hercule et le Centaure, enfin la statue équestre de Cosme Ier et les bas-reliefs de la chapelle del Seccorso à l’Annunziata et des portes du dôme de Pise. Ses autres ouvrages, la Vénus, son premier marbre, qu’il voulait, dit-on, racheter au grand-duc pour le détruire, le lourd Neptune de Bologne, l’Abondance, la Baigneuse, la Junon, l’Océan, le Jupiter pluvieux,