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épuisé par la fièvre et par la douleur, attendant la mort comme une délivrance, il eut une vision où Jésus lui apparut attaché sur la croix. Il fit vœu, s’il recouvrait la liberté, de reproduire l’image divine telle qu’il l’avait vue dans son rêve d’halluciné. Vingt ans se passèrent avant que Cellini accomplit ce vœu ; il sculpta le Christ à Florence dans les dernières années de sa vie. L’inspiration est d’un chrétien et d’un visionnaire. L’art de la renaissance représentait Jésus selon l’idéal païen. Benvenuto revint à la tradition hagiographique. Son dieu crucifié est celui qu’avait conçu la foi ardente du moyen âge et qu’on retrouve dans les ivoires, les miniatures et les orfèvreries. Les jambes sont grêles et amaigries, les bras décharnés; le torse accuse l’ostéologie comme le squelette même. La tête, émaciée, penchée sur l’épaule droite, semble garder jusque dans la mort le sentiment d’une infinie douleur. La lividité marmoréenne de cette figure qui se détache sur le noir luisant du marbre de la croix ajoute encore au caractère funèbre. Le hasard a fait que le crucifix sculpté par Cellini pour une église de Florence décore l’église de l’Escurial. Ce fantôme de marbre est bien à sa place dans ce palais sombre et morne comme un tombeau.

Où triomphe Cellini, où ce statuaire de hasard a donné la mesure de son grand talent et mis sa marque d’artiste tout à fait original, c’est dans le Persée de la Loggia de Florence. La pose de Persée est simple et calme, d’une harmonieuse pondération. On est frappé du charme de ce visage aux traits purs et expressifs; on admire la noblesse de dessin du torse, supérieurement modelé. La recherche se manifeste dans la forme bizarre du casque, travaillé par détails comme une pièce d’orfèvrerie et dans l’attitude ramassée de la Gorgone, qui tord ses membres convulsés sous les pieds du héros. Nous n’aimons point »non plus ces bouillons de sang qui s’échappent de la tête et du tronc du monstre. C’est là un effet dont un sculpteur antique se fût abstenu. Cicognara déclare que le Persée est trapu, Théophile Gautier en vante la sveltesse. L’historien de la sculpture et l’auteur du Voyage en Italie ont raison l’un et l’autre. Cellini avait conçu le Persée comme un éphèbe grec. Le petit modèle de cire conservé au Bargello est de formes tout à fait élancées; peut-être même est-il un peu grêle. A l’exécution, le sculpteur modifia son idée première, accusant davantage le système musculaire et diminuant la longueur des jambes. La figure en est un peu alourdie: elle garde cependant un aspect de grâce juvénile et de superbe élégance. Une statue sans défaut peut être détestable, une autre provoquer bien des critiques et donner malgré cela l’impression d’un chef-d’œuvre. Il en est ainsi du Persée. Sans doute ;