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de cire qui commencèrent sa réputation. Toutefois on disait dans Florence qu’on ne pourrait le juger que sur une statue de marbre. Jean Boulogne se sentait assez de talent pour tenter l’épreuve, mais le marbre était cher. Il s’en ouvrit à Verchetto, qui lui donna un bloc; le jeune Flamand fit sa Venus, dont le succès fut grand. Verchetto présenta le sculpteur au fils de Cosme, François de Médicis, qui allait bientôt être associé au gouvernement. Le prince acquit la Vénus et peu de temps après il attacha l’artiste à sa personne, le logea au palais et lui donna un traitement de treize écus d’or par mois. Il va sans dire que les travaux de Jean Boulogne étaient payés en dehors de cette pension, qui fut élevée plus tard à vingt-cinq écus par mois.

Le sculpteur flamand avait désormais droit de cité parmi les grands artistes italiens. Sa renommée était fondée à Florence, il allait l’étendre dans toute l’Italie, en France, en Allemagne. Sa position était assurée, et il n’était pas homme à la compromettre par des incartades à la Cellini. Dès lors l’histoire de sa vie se confond avec l’histoire de ses œuvres. En 1559, il fait le Samson terrassant les Philistins; en 1560, il prend part avec Cellini, l’Ammanato, et Vincenzio Danti de Pérouse au fameux concours du Neptune; en 1563, il va se fixer à Bologne, avec le consentement du prince sollicité par le pape Pie IV, et y commence le Neptune de la grande fontaine; en 1565, il sculpte le groupe de la Fiorenza. Les années se succèdent et les œuvres s’accumulent. C’est le Mercure volant, c’est la décoration de la chapelle des Grimaldi à Gênes, ce sont les statues de la chapelle de Lurques, puis l’Enlèvement de la Sabine, le colossal Jupiter pluvius de Pratolino, l’Hercule terrassant le Centaure, les statues équestres de Cosme Ier, de Ferdinand de Médicis, de Philippe III d’Espagne, de Henri IV, les portes de bronze du dôme de Pise, les bas-reliefs de la chapelle de la Nunziata. Les journées n’ont point assez d’heures pour que celui qui, depuis la mort de Michel-Ange, est devenu, comme l’appelle Vasari, « le prince des sculpteurs » puisse fondre tous les bronzes et tailler tous les marbres qu’on lui demande. « Il a en main mille choses, écrit l’archiprêtre Simone Fortuna au duc d’Urbin, qui l’avait chargé de demander une statue à Jean Boulogne, et plut à Dieu qu’il pût suffire à satisfaire à toutes ces demandes qu’on lui adresse! C’est cependant un homme surprenant, qui ne perd jamais une heure, ni jour ni nuit, et qui supporte une fatigue excessive sans prendre de repos. » Non-seulement François de Médicis, devenu grand-duc en 1574, et son frère Ferdinand, qui lui succéda en 1587, employaient leur sculpteur à décorer les édifices, les places publiques, les jardins de Florence, mais cédant aux requêtes et aux sollicitations des princes étrangers, ils mettaient