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appartenait à une famille d’artisans, et son père rêvait pour lui la considération de « l’homme de plume, » c’est-à-dire qu’il voulait le voir notaire ou procureur. Le jeune homme, qui aimait à dessiner et à modeler, vainquit les résistances paternelles ; à seize ans, il partit pour Anvers où, dit Guichardin, « il y avait trois cents maîtres peintres, sculpteurs et graveurs. » Jean Boulogne prit pour maître Jacques Dubroeck. Ce sculpteur, qui avait vu l’Italie, avait conservé le souvenir de ses chefs-d’œuvre ; il conseilla ce voyage à son élève comme complément de ses études. Cent cinquante ans avant la fondation de l’Académie de France, les avantages du séjour de Rome, que nient aujourd’hui certains critiques au nom de la liberté dans l’art, étaient déjà reconnus par tous les artistes. Que l’on prît la voie de mer, bien longue, ou la voie de terre, bien coûteuse et présentant mille dangers, il est aisé de s’imaginer ce qu’était alors un tel voyage. Jean Boulogne dut attendre jusqu’en 1551 pour l’entreprendre. Il partit avec deux compagnons dignes de lui, les frères Floris : Cornille, sculpteur et architecte qui devait plus tard construire l’Oosterhuys et la maison de ville d’Anvers, Franc, le peintre qui allait faire école. Jean Boulogne resta deux ans à Rome, travaillant d’après l’antique et d’après Michel-Ange. Il voulut connaître le grand sculpteur. Il lui présenta un jour une petite figure de cire qu’il avait finie avec le plus grand soin. Michel-Ange prit la cire, la repétrit, la modela à nouveau dans une autre forme et la rendit au Flamand en lui disant : « Apprends d’abord à ébaucher, tu finiras ensuite. » Il paraît que Jean Boulogne prit cette leçon pour un encouragement.

En 1553, après être resté deux années à Rome et y avoir gagné plus de science que d’argent, le jeune sculpteur reprit le chemin d’Anvers. Cette fois, il passa par Florence. C’était la destinée qui le conduisait là Il fit la rencontre d’un riche Florentin nommé Bernardo Verchetti, familier de la cour et grand amateur d’art. Celui-ci, moins difficile que Michel-Ange, fut émerveillé des études et des copies que Jean Boulogne rapportait de Rome. Il l’engagea à retarder son retour dans son pays et à demeurer quelque temps à Florence, où il y avait tant de chefs-d’œuvre statuaires. Mais, comme dit Baldinucci, « l’état de dénûment du jeune homme demandait plutôt des secours que des conseils, aiuti più che consigli. » Bernardo Verchetti lui proposa de l’entretenir dans son propre palais pendant deux ou trois ans. Quel coup de fortune ! Jean Boulogne accepta et se mit au travail avec acharnement. Désireux de ne pas être trop à charge à son généreux protecteur, il s’employa, tout en continuant ses études, à la décoration de plusieurs édifices. Il sculpta des balustres, des consoles, des autels ; il fit aussi quelques ouvrages