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peut-être intentionnelle, la donation était pour ainsi dire demeurée lettre morte.

Mal récompensé des travaux qu’il avait faits, Cellini avait mille peines à obtenir de nouvelles commandes. Il avait donné l’idée de mettre au concours le groupe du Neptune. Bien que son modèle fût supérieur à celui de l’Ammanato, le bloc de marbre fut donné à celui-ci. Cellini avait proposé aussi de sculpter des bas-reliefs pour la grande porte de Santa Maria del Flore, puis des chaires pour la même église. Ces demandes furent discutées et finalement repoussées. Benvenuto ne trouvant plus à s’occuper pour les Médicis travailla pour lui-même. Il sculpta un grand crucifix de marbre; il voulait que ce Christ fût placé sur un tombeau qu’il avait l’intention de se faire construire dans l’église de Santa Maria Novella. Le chapitre accepta l’œuvre avec empressement, mais pour la question du tombeau, il demanda à en référer aux marguilliers. C’était une formalité toute simple et assez naturelle. Mais Cellini, toujours irascible, s’emporta et déclara que jamais Santa Maria Novella n’aurait son crucifix. L’aventure vint jusqu’aux oreilles de Cosme et de la duchesse Éléonore. Ils allèrent trouver Cellini dans son atelier, virent le marbre et en firent de grands éloges. Benvenuto très flatté offrit le crucifix à titre de don. Le duc l’accepta et le refusa tour à tour, réfléchit, tergiversa et enfin le fit transporter au palais Pitti; mais sa dignité ne lui permettant pas d’accepter un tel présent d’un pauvre diable, de sculpteur, il dit qu’il paierait le Christ « ce qu’il valait. » Il fallut à Benvenuto cinq ans et une infinité de démarches et de suppliques pour toucher les 1,500 écus auxquels le marbre avait été estimé. Cellini disait très bien dans ses lettres à son auguste débiteur : «J’ai eu la déconvenue que le présent ait été refusé; il est donc juste qu’au moins je sois payé. »

Découragé, manquant d’argent et de travaux, abandonné du duc, qui lui refusait l’entrée de son palais et le laissait emprisonner pour on ne sait quelle peccadille[1], hésitant à entreprendre les grandes œuvres dont il avait le projet, l’artiste qui, au milieu de ses violences et de ses débordemens, avait une piété exaltée (il eut une vision pendant sa captivité au château Saint-Ange) forma le dessein d’entrer dans les ordres. On a retrouvé cette note de lui, datée du 2 juin 1558 : « Souvenir qu’à ce jour, moi, Benvenuto Cellini, j’ai

  1. Divers documens révèlent que Cellini subit deux mois de prison en 1556. Le fait n’est pas signalé dans les Mémoires et on ignore les motifs de l’emprisonnement. M. Plon suppose que le sculpteur s’était sans doute porté à quelque acte de violence envers un favori du duc qui l’aurait desservi auprès de lui. Peut-être avait-il parlé de Cosme en termes offensans. Dans un sonnet, il l’accuse de « lui prendre tout ce qu’il est en son pouvoir de lui prendre. »