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Cellini a cessé d’écrire ses Mémoires à la fin de 1562; il mourut en 1571 : c’est neuf années de sa vie sur lesquelles on est peu renseigné. De plus, le huitième livre des Mémoires, qui va de 1552 à 1562, ne paraît pas aussi complet que les précédens ; les archives de Florence révèlent certains faits qui ont été omis par le narrateur. Les documens inédits relatifs à ces deux périodes ne sont donc pas sans intérêt.

On voit au dernier livre de la Vita que Benvenuto se trouvait déjà dans une situation assez pénible, aux prises avec des inquiétudes et des difficultés de toute sorte. Il a lassé le duc Cosme par ses exigences et ses caprices. « Benvenuto, disait le duc, veut toujours faire le contraire de ce que je désire. » C’étaient ses façons accoutumées avec ses protecteurs, avec le pape Clément VII, qui fut obligé de le faire emprisonner pour avoir un calice qu’il lui avait commandé, comme avec François Ier, qui, tout irrité, l’interpellait ainsi : « Vous devriez être plus obéissant, moins orgueilleux et moins entêté. Je vous ai commandé des statues d’argent, c’est tout ce que je voulais de vous; mais vous avez jugé à propos de faire une salière, des vases, des bustes, et quantité d’autres choses. Si bien que je suis confondu en voyant que vous avez laissé de côté tout ce que je voulais, pour ne vous occuper que de ce qui vous plaisait. » A agir ainsi, Benvenuto gardait son indépendance, ce qui était bien, mais il perdait la bonne grâce des souverains, ce qui était fâcheux ; car, si mauvais courtisan qu’il fût, il aimait les cours, prisait les éloges des papes et des rois, et ne dédaignait pas les témoignages de leur munificence. La fortune qui si longtemps avait comblé Cellini l’abandonna. Il se vit réduit à une quasi-pauvreté, repoussé du palais ducal, presque persécuté par la coalition des nombreux ennemis qu’il s’était faits. On sait quelle persévérance, quelle énergie, il lui fallut pour achever la statue de Persée au milieu de l’hostilité générale. On le laissait manquer d’argent pour payer ses ouvriers, et chaque fois qu’il voyait le duc, celui-ci, soufflé par le Bandinelli ou par d’autres artistes de son entourage, lui prédisait qu’il ne viendrait jamais à bout de fondre sa statue. Benvenuto n’eut pas une heure de doute ni de découragement. Enfin il triompha. Caché derrière un rideau, il entendit les acclamations du peuple de Florence quand le Persée fut exposé pour la première fois au milieu de la Loggia. Mais ce beau bronze fut à peine payé. Cellini n’avait pas voulu en fixer le prix, s’attendant à une libéralité spontanée du duc Cosme. Or le duc lui demanda combien il voulait pour sa statue. Benvenuto, déçu et irrité, dit qu’il ne serait pas assez payé avec 10,000 écus d’or. Le prince se fâcha et chargea Bandinelli de l’estimation du Persée, Bandinelli, l’ennemi acharné de Cellini ! L’auteur du groupe de Cacus