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personnes. Quoi qu’il en soit, si le témoignage intérieur ne peut être allégué avec certitude, même dans les cas les plus exceptionnels, contre l’identité personnelle, on ne peut nier que cette identité ne gagne en évidence quand elle est confirmée par les témoignages extérieurs. Ce serait donc mal servir la cause de la personnalité humaine que d’en exclure les considérations de l’ordre physique.

Une théorie complète de la personnalité ne doit pas oublier cet « univers physique » dans lequel l’homme, suivant M. Caro, « plonge par ses racines ; » mais elle ne doit pas oublier davantage cet « univers moral » auquel il appartient par tout ce qui le distingue des autres êtres. Elle ne doit négliger aucun des caractères qui se manifestent dans la hiérarchie des êtres. Elle doit rendre à l’animal comme à l’homme la conscience du moi, l’activité et même une certaine liberté. Elle doit reconnaître dans l’homme la raison, la responsabilité, l’idéal divin, les justes espérances d’une vie immortelle. Pour emprunter à M. Bouillier[1] une belle comparaison qu’il applique seulement à la sensibilité et que nous pouvons étendre à la nature humaine tout entière : « L’homme est comme le chêne de La Fontaine,


… dont les pieds touchaient à l’empire des morts,


mais


… de qui la tête au ciel était voisine ; »


et nous ajouterons que, plus heureux que l’arbre de la fable, l’homme peut être déraciné sans perdre sa place dans l’empire des immortels[2].


EMILE BEAUSSIRE.

  1. Dans son livre du Plaisir et de la Douleur.
  2. Ce travail était terminé lors de la publication d’un important ouvrage de M. de Pressensé (les Origines, Fischbacher, 1883), dans lequel sont traitées la plupart des questions auxquelles nous avons touché à propos de la personnalité humaine. D’accord avec l’auteur, sur tous les principes, nous aurions plus d’une réserve à exprimer sur des points secondaires, mais nous ne saurions trop louer la magistrale ordonnance de son livre, l’élévation religieuse et en même temps toute philosophique de sa pensée, et l’esprit de large tolérance dont ne se départ jamais son orthodoxie spiritualiste.