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l’une inférieure, commune à tous les êtres cloués de sensibilité et de mouvement ; l’autre supérieure, qui serait le propre de l’homme et ferait de lui une personne. La conscience vraiment humaine serait la conscience réfléchie, qui seule s’élèverait à l’idée du moi. M. Paul Janet fait la même distinction et, pour mieux la marquer, il appelle sens intime, chez l’homme et chez l’animal, la conscience inférieure, et réserve le nom de conscience pour cette conscience de soi, où se révèle à elle-même la personne humaine. M. Bouillier repousse le nom de sens intime et, loin qu’il limite le champ propre de la conscience aux actes réfléchis, la vraie conscience est pour lui la simple conscience, antérieure à toute réflexion ; c’est cette connaissance intime et immédiate que nous avons et que tout animal a comme nous de tout fait de sensibilité, d’intelligence ou d’activité, au moment même et par cela seul qu’un tel fait se produit. Cette connaissance n’est pas l’objet d’une faculté spéciale; elle est inhérente à l’exercice de toutes les facultés : « Nulle analyse psychologique, si subtile qu’elle soit, ne peut faire que penser et se savoir penser, que vouloir ou sentir et se savoir voulant ou sentant ne soient pas une seule et même chose, l’acte le plus indivisible, le plus un qui se puisse concevoir. J’ai conscience d’une sensation, d’une idée, ou bien j’ai cette sensation, cette idée, sont des expressions absolument tautologiques. » M. Bouillier est tellement convaincu que la conscience est toujours de même nature, à tous les degrés de l’existence humaine ou animale, qu’il fait commencer la conscience avec la vie, dès ses premières manifestations, non-seulement après la naissance, mais chez l’embryon à peine formé. Il croit cependant, avec M. Janet et M. Joly, que la conscience de soi n’appartient qu’à la conscience réfléchie, dont l’homme seul est capable à un certain degré de son développement. Je ne puis voir, dans une telle distinction, chez des philosophes spiritualistes, qu’une inconséquence, sinon de pensée, du moins de langage.

C’est, en effet, la doctrine classique du spiritualisme français, depuis Maine de Biran, que la conscience n’atteint pas seulement des phénomènes, mais leur sujet, c’est-à-dire le moi sentant, pensant ou voulant. Que signifient, en effet, ces mots : avoir conscience? Impliquent-ils seulement une connaissance quelconque de certains faits, comme la connaissance que l’on peut avoir d’un phénomène physique ou d’un événement de l’histoire ancienne ? Non ; les faits de conscience sont ceux qu’on ne connaît qu’en les rapportant à soi-même. Sentir, penser ou vouloir, ce n’est pas savoir qu’il se produit quelque part un sentiment, une pensée ou un acte volontaire, c’est se dire à soi-même : Je sens, je pense ou je veux. La Conscience de soi est donc impliquée dans tout fait de conscience. M. Janet le reconnaît implicitement dans le passage même où il refuse