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du prince Henri et du duc de Brunswick, on citait encore Struensée, ministre des accises, « aussi partisan de la révolution qu’un ministre de Prusse peut l’être,, » disait Custine; puis Mœllendorf, le plus brillant des lieutenans de Frédéric, « loyal, simple, ferme et d’une vertu qui ferait honneur à un sol plus fécond en ce genre[1]. » Connus et populaires dans les états-majors, dans les universités, dans la bourgeoisie de Berlin surtout, ces hommes étaient, à la veille de la révolution, sans influence à la cour. Brunswick n’y reprit du crédit qu’en sacrifiant ses principes. Les autres ne furent écoutés que lorsque des événemens désastreux eurent justifié leurs appréhensions et leurs critiques.


IV.

Comme l’avait si bien prévu Mirabeau, ce fut par la diplomatie que la chute commença. Frédéric, après avoir étonné l’Europe par son audace, l’avait surprise par sa modération. Sur ses vieux jours, il s’était fait ermite et très conservateur. Ami de l’Angleterre, en coquetterie avec la France, protecteur des petits états de l’Allemagne, il restait allié de la Russie, où Catherine, qui l’avait pris pour maître, l’imitait de son mieux; enfin il était redouté de l’Autriche, où Joseph, qui enviait ses succès, brûlait de l’imiter. Il avait tramé entre ces deux cours et la Prusse, le seul lien qui, dans l’état du droit public, pût réunir solidement trois puissances jalouses l’une de l’autre et également ambitieuses : la complicité. Frédéric-Guillaume aurait pu jouir en paix des brillans loisirs que lui avait préparés son prédécesseur. Mais il était avide de gloire, il avait une armée disponible de cent soixante mille hommes, un trésor bien garni; il croyait le trésor inépuisable, l’armée invincible et voulait faire parler de lui. Loin de le modérer, son ministre, Herzberg, disciple présomptueux et déréglé de Frédéric, l’excitait aux grandes actions. Quand ses conseillers lui tenaient ce langage, Frédéric-Guillaume les écoutait. Il débuta, en 1787, par un grand coup. Le parti patriote s’était révolté en Hollande; la France le soutenait, tandis que les Anglais tenaient pour le stathouder. Frédéric-Guillaume vit là une occasion d’humilier la France et la saisit. Il envoya en Hollande une armée qui mit les patriotes en déroute presque sans coup férir et sans que la France osât s’y opposer. La vérité est que, paralysée par ses troubles intérieurs, la France était condamnée momentanément à l’inaction. Les Prussiens la crurent frappée à mort; ils ne comptèrent plus avec elle et tinrent pour l’œuvre la plus aisée du monde de relever

  1. Mirabeau, Lettre du 2 décembre 1786.