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l’impertinence de leurs procédés et de leurs propos, de leurs persiflages et de leurs brocards. « Quand un prince ou un envoyé allemand faisait son entrée à l’Œil-de-Bœuf, c’était parmi les petits-maîtres à qui irait le lendemain amuser les belles dames dans les ruelles de bonne compagnie aux dépens de son costume burlesque, de ses manières empesées, de la profondeur de ses révérences et de la lourdeur de son accent. » La fatuité est de tous les vices de l’esprit le plus sot et le plus coûteux. La nôtre nous a fait beaucoup de tort, nous l’avons payée très cher. Nous en voilà presque guéris, espérons que c’est pour toujours.

Personne n’a mieux expliqué que M. de Broglie l’immense popularité que pouvait se promettre le premier prince allemand qui se sentirait de taille à regarder la France en face. Pour n’exciter ni jalousies ni ombrages ni complots contre sa gloire, il importait qu’un tel prince ne fût ni un fils d’Autriche, ni un prétendant au saint-empire, ni un catholique zélé, ni un protestant fanatique, mais il fallait aussi qu’il imposât le respect par ses grandes actions et par l’audace de ses entreprises, qu’il fût un enfant gâté de la fortune, qu’il eût conquis sa place parmi les puissans et les victorieux « Supposez de plus qu’au génie politique et militaire cet homme privilégié joignît le don d’écrire et de penser à l’égal des plus grands maîtres de la philosophie, supposez qu’en particulier il excellât dans l’art terrible de manier la satire et se plût à en faire usage pour retourner ce fer empoisonné dans les chairs et dans le cœur de ceux-là même qui s’en étaient longtemps servis contre sa patrie ; supposez, que tour à tour infidèle allié et heureux ennemi de la France, il fît pendant un demi-siècle de nos rois, de nos ministres, de nos généraux, de nos diplomates, le point de mire de ses épigrammes répétées par tous les échos de l’Europe… quel changement de scène inattendu ! Quel renversement de tous les rôles ! Pour l’orgueil allemand, quel retour de tant de disgrâces ! Pour la vanité surtout, quelle revanche de tant de blessures ! » Quand on est capable de rendre une si éclatante justice à ce qu’on n’aime pas, on est quitte envers sa conscience, et qui pourrait douter après cela que M. de Broglie n’ait la raison assez haute pour ne point déprimer ni ravaler les grands hommes qui lui déplaisent, assez de dégagement d’esprit pour pouvoir admirer les serpens à sonnettes ?

C’est une partie considérable du talent de l’historien que l’art de soulever les questions, de les poser nettement, de les discuter et de les résoudre. Sans adopter de tout point les conclusions de M. le duc de Broglie, tous ses lecteurs demeureront d’accord qu’il a traité de main de maître et débattu avec autant de méthode que d’autorité les deux questions que voici : Quelle était pour la France la meilleure conduite à suivre dans la guerre de la succession d’Autriche ? De quel nom convient-il