Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/164

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moment viendra certainement où la Suisse bosniaque sera aussi à la mode que la Suisse helvétique. Au point culminant de la route s’élève une petite construction de pierre qui n’est autre qu’une fontaine alimentée par une source limpide et captée il y a une douzaine d’années, — comme l’indique une inscription turque incrustée dans le monument, — grâce à l’intelligente munificence d’un mutessarif de Trawnik.

De ce sommet, on descend rapidement à Han-Campanja, où se trouve une étape; puis on tourne à droite, et après Vitech, on traverse la Lasva sur un pont de bois, près duquel est construit un petit han. La vallée continue à être large jusqu’au moment où l’on aperçoit, à droite, à mi-côte sur la montagne, le grand monastère franciscain de Goucia-Gora. Alors et brusquement, comme si la vallée se terminait en cul-de-sac, commence le défilé de Trawnik, très pittoresque avec ses nombreux cimetières turcs, sa rivière en cascades bondissantes, ses rochers abrupts, et la ville de Trawnik elle-même, dont on aperçoit d’abord le château juché sur un piton qui semble avoir poussé dans l’étroit vallon.

Trawnik paraît une véritable ville, quand on vient, comme moi, de Brod, en passant par Derbend, Doboj, 41enitza et Techanj. En effet, cette localité, sans être beaucoup plus importante que celles que je viens de citer, doit à sa situation et au séjour qu’y firent jusqu’à la ruine de la féodalité bosniaque, en 1850, les pachas envoyés par la Porte-Ottomane, d’être la seconde ville et pour ainsi dire la seconde capitale de la Bosnie : elle contient en ce moment une garnison assez importante et elle est la résidence du grand rabbin des israélites de toute la province.

Les musulmans y sont cependant en majorité, et leur mufti possède une bibliothèque célèbre parmi tous ses coreligionnaires de Bosnie. Comme, depuis mon entrée dans la province, on m’avait vanté sans cesse les merveilleux manuscrits de ce mufti, je n’eus rien de plus pressé que de demander à le voir; nous nous rendîmes donc, mon interprète et moi, chez ce vénérable personnage, qui, nous prenant sans doute pour des amateurs peu scrupuleux, se montra tellement jaloux de ses trésors qu’il nous fut impossible d’y toucher; nous pûmes néanmoins constater que, parmi la trentaine de manuscrits qu’il possède, la moitié au moins se compose de Corans ou de parties du Coran, et en dehors de quelques géographies ; le reste ne nous parut pas avoir beaucoup de valeur.

Bien que Trawnik jouisse de quelques affreuses auberges qui se décorent traîtreusement du titre d’hôtel, j’ai préféré, profitant de l’offre qu’avait bien voulu nous faire à Zenitza, où nous l’avions rencontré, le révérend père Nicolas Lovritch, supérieur du couvent