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où l’on puisse coucher. Né! né! nous répond-on en secouant la tête de droite à gauche. Lorsqu’un indigène étranger vient ici, paraît-il, il couche chez un ami ou à la belle étoile, hôtellerie que l’on trouve partout et à la portée de toutes les bourses ; quant à un homme civilisé, on ne voit que des soldats, et encore ils sont tous Croates et, par conséquent, à moitié du pays. Il n’y a même pas de han pour les voyageurs, attendu qu’il n’y a pas de voyageurs à Techanj. Nous demandons le commandant de la ville. — Couché. Et son brosseur refuse énergiquement de le réveiller, car il a eu son accès de fièvre dans la journée et il a défendu sa porte de la façon la plus absolue. Mais n’y a-t-il donc plus un officier encore debout? Heureusement que cette idée était bonne et qu’en effet deux jeunes sous-lieutenans étaient encore à causer et à fumer dans la petite chambre turque qui sert aux sept officiers de la garnison de cercle, de smooking room, de salle à manger et de salon de réception.

Grâce à l’obligeance de ces messieurs, qui nous cèdent leurs paillasses et vont coucher avec des camarades, nous pouvons enfin reposer nos membres endoloris dans la soupente où ils demeurent ; ce n’est pas un palais : on s’y tient à peine debout ; dans un coin une espèce de huche sordide ; dans un autre coin, un grand poêle bosniaque, une valise et deux paillasses : tel est le mobilier. Mais quand on est rompu de fatigue, on n’a pas besoin de berceuse, et nous ronflons à qui mieux mieux.

Le lendemain, dès l’aube, nous sommes sur pied, et, grâce à nos hôtes qui rivalisent de bonne grâce envers les étrangers et qui nous invitent à partager leur repas (ce qui est plus qu’une politesse, car le restaurant est aussi inconnu à Techanj que l’hôtel), nous commençons notre visite de la ville et des environs.

... Techanj a été tout d’abord une forteresse des bans d’Ussora, dont la résidence était à deux heures de distance, au lieu dit Vrutchitcha (eau chaude) et où l’on voit encore quelques ruines. Plus tard, ces petits princes vinrent établir à Techanj même le siège de leur gouvernement. Lors de l’invasion turque, les bans de Vrutchitcha, de Yaetze et de Srebrenitza, qui se partageaient tout le pays, étaient tributaires de Raguse. Le sultan Mahomet ayant été longtemps arrêté devant les défenses de Vranduk, ravagea tout le voisinage, y compris Velika, Techanj et Doboj, où il rencontra l’armée de Mathias Corvin, roi de Hongrie.

Plus tard, le prince Eugène y vint aussi, mais il n’osa pas attaquer le château, où s’étaient réfugiés les habitans sous les ordres d’Ali, leur gouverneur. Il se contenta de bombarder et de démolir la ville. A la suite de cet événement, Ali ayant constaté que ce château était trop petit pour servir d’asile à toute la population, en augmenta l’enceinte et y fit de nouvelles constructions que l’on voit