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que les échantillons que l’on en rencontre en Bosnie ne sont pas faits pour donner une grande idée de ses charmes. Il est vrai que l’on voit seulement à visage découvert des chrétiennes, pauvres créatures vouées dès leur plus jeune âge aux privations, à la misère et à la servitude des rudes travaux des champs. Quant aux musulmanes, elles sont invisibles. On remarque seulement quelquefois vers le midi, allant en nombre presque toujours, des paquets d’étoffes qui rasent les murailles et qui, du plus loin qu’elles aperçoivent le roumi, se détournent avec mépris de leur chemin. Saluez, voyageurs, l’amour et la poésie de l’Orient qui passent! C’est le harem de M. Y... qui va faire visite au harem de M. Z.. !

... Le commandant d’étapes, aimable officier slave, a bien voulu nous promener toute l’après-midi. Il nous a conduits à un monastère catholique du voisinage. Le couvent de Saint-Marc-les-Pléhan (Samostan Sv. Marka na Plehan) est habile par six franciscains prêtres et cinq clercs ou élèves ; il a été fondé seulement en 1872 et n’est pas riche. Le père gardien, — Pater Steplianus Cicatch, — jeune homme aimable et intelligent, nous fit lui-même les honneurs de son couvent, dont l’église est une espèce de grange affreusement décorée à l’intérieur. Les pères, hommes simples et de peu de besoins, vivent d’aumônes, de leur école et des services qu’ils rendent; ils ont quelques châtaigniers et quelques lopins de terre qu’ils cultivent et dont ils tirent aussi une maigre ressource. Ces lopins sont-ils bien à eux? Nul ne saurait le dire, car il n’y a dans le pays ni bornage ni cadastre, et, en dépit des droits féodaux, la devise primo occupanti peut encore avoir une certaine valeur en haut de la montagne de Pléhan.

Il faut, en effet, faire une véritable ascension à travers des chemins creux coupés de rochers que l’on exploite pour l’entretien de la route qui passe en bas, avant, d’arriver au couvent de Saint-Marc, mais aussi on jouit de ce sommet d’une vue splendide.

Au nord, la Save, Brod et les collines qui ferment le bassin de cette rivière, et à la base de ces collines, à droite, le profil des tours et de la coupole de la cathédrale de Djakova, vers lesquelles, au temps de la domination turque, les regards des bons franciscains se tendaient toujours comme vers le symbole de l’espoir et de la délivrance. A l’ouest, le haut plateau de Molajitcha et les montagnes au pied desquelles se trouvent Banjaluka, au nord, et plus bas Trawnik. Au sud, le panorama est raccourci par le fouillis des collines qui resserrent le cours de la Bosna; mais, à l’est, la vue s’étend encore fort loin par-dessus cette rivière jusqu’au plateau de Majevitcha et aux montagnes qui dominent les frontières de la Serbie. Je ne crois pas qu’il existe en Europe beaucoup de points de vue d’une pareille étendue; il y a, en Bosnie même, un bon