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les gens qu’il n’exproprie pas de tous leurs biens; le vol lui-même cesserait d’être un crime tant qu’il resterait au volé le moyen de vivre ou, si l’on veut, de vivre décemment. Ni le gouvernement ni l’assemblée ne s’abaissèrent à demander aux cinquante-deux descendans de Louis-Philippe, avant de leur restituer ce que le domaine détenait encore, si chacun d’eux n’avait pas d’autres ressources. Le droit, la justice, l’honnêteté publique, étaient seuls en jeu ; toute enquête devenait superflue. L’état ne voulait pas garder le patrimoine des princes d’Orléans, non parce qu’ils ne pouvaient se suffire à eux-mêmes, ce qui ne le regardait guère et lui importait peu, mais parce que ce patrimoine ne lui appartenait pas.


II.

Si les pouvoirs publics avaient accompli leur devoir, les princes d’Orléans avaient-ils fait, de leur côté, tout ce qu’ils devaient faire?

Il importe, en premier lieu, de rappeler comment la question fut engagée en 1871. Aucun des héritiers de Louis-Philippe ne s’adressa soit au gouvernement, soit à l’assemblée. «C’est justice de le dire à leur honneur, » lit-on dans le rapport de M. Robert de Massy, dont la parole ne saurait être un instant mise en doute. Le 15 septembre 1871, M. de Mérode avait demandé, dans la discussion du budget rectificatif, que l’assemblée, par probité, n’autorisât pas au profit du trésor une recette ayant pour origine le décret du 22 janvier 1852. M. Pouyer-Quertier, ministre des finances, répondit : « Le gouvernement s’occupe en ce moment de préparer des mesures législatives qui doivent vous être soumises concernant les décrets du 22 janvier 1852. Mais, tant que ces décrets ne sont pas abrogés, nous sommes bien obligés, de par la loi, de comprendre dans nos évaluations le chiffre du produit des biens dont il est question. Il y aura matière à rectification si les décrets du 22 janvier 1852 sont abrogés, » — « comme nous le désirons, » ajouta le garde des sceaux. La chambre fut en effet saisie du projet de loi, le 9 décembre 1871, non par l’initiative parlementaire, nos lecteurs ne l’ont pas oublié, mais par le gouvernement lui-même.

La question étant ainsi posée, les princes d’Orléans devaient-ils se lever et dire : « Il suffit, le président de la république et ses ministres ont fait une démonstration qui nous honore, et nous sommes satisfaits : le gouvernement peut maintenant remporter son exposé des motifs et sa proposition. » Ils ne pouvaient pas tenir ce langage. D’abord, la conscience publique n’était pas satisfaite et le spoliateur avait, au demeurant, le dernier mot : il fallait, dans un intérêt général, que l’assemblée nationale poursuivît son œuvre réparatrice, et la famille d’Orléans ne devait, sous aucun prétexte,