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plus simple d’entrer dans la voie de la vérité... Il n’y a qu’à assimiler le domaine privé du roi à celui des autres propriétaires, à le considérer comme le premier père de famille de son royaume... J’avoue que je ne comprends plus... la dévolution. Quelques personnes ont dit qu’il importe qu’en arrivant au trône, le roi se considère comme identifié en quelque sorte à la chose publique, comme n’ayant d’autres propriétés que celles qui se trouvent liées à la chose publique, en un mot, si je puis m’exprimer ainsi, comme absorbé par l’état lui-même. C’est une pure fiction. Il n’est pas nécessaire que les propriétés dont le roi jouissait avant son avènement au trône fassent retour au domaine de l’état pour qu’un roi qui est pénétré des principes constitutionnels se considère comme intimement uni à l’état. » L’amendement de Salverte, appuyé par le gouvernement, fut adopté. « Le roi, dit la loi du 2 mars 1832 (article 22), conservera la propriété des biens qui lui appartenaient avant son avènement au trône; ces biens et ceux qu’il acquerra, à titre gratuit ou onéreux, pendant son règne, composeront son domaine privé. » Tel est donc le nouveau droit public, calqué sur celui du premier empire. Un doute eût-il pu subsister sur la disponibilité des biens de Louis-Philippe avant son avènement au trône, le législateur lui-même entendait le dissiper. Quand il a parlé d’une façon si claire, personne ne contestera plus, à l’avenir, que ces biens particuliers n’aient pas été réunis de plein droit, en 1830, au domaine de l’état.

On pense bien qu’une si faible objection n’a pas embarrassé l’auteur des décrets. La loi de 1832 ne l’arrête pas, car, « dictée dans un intérêt privé par les entraînemens d’une politique de circonstance, elle ne saurait prévaloir contre les droits permanens de l’état et les règles immuables du droit public. » Singulier raisonnement ! Outre que cette règle « immuable » du droit public avait changé trois fois sous l’ancien régime et cinq fois de 1789 à 1832, cette subordination de certaines lois dites de circonstances à d’autres lois dites fondamentales nous paraît être une des conceptions les plus étonnantes qui aient hanté le cerveau d’un jurisconsulte. Sous l’ancien régime, c’est-à-dire à une époque où la France n’avait pas de constitution écrite, on reconnaissait assurément l’existence de trois ou quatre lois fondamentales : la distinction des trois ordres, par exemple, et la transmission de la couronne de mâle en mâle par ordre de primogéniture à l’exclusion perpétuelle des femmes. Mais, depuis que la France est régie par des constitutions écrites, il n’y a pas d’autres lois fondamentales que les dispositions mêmes de l’acte constitutionnel. Or une seule constitution s’était prononcée sur le droit de dévolution, celle de 1791, et la question du domaine privé, depuis cette époque, avait