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conseil d’état, en partie composé d’anciens constituans, dont quelques-uns ont jadis travaillé à la constitution de 1791. Ces hommes d’état vont se récrier sans doute et rappeler à leurs collègues que rien ne peut prévaloir contre la fameuse loi, la loi unique, la loi « d’ordre public, » la loi « fondamentale, » la loi « permanente, » la loi « immuable, » comme on dira plus tard en janvier 1852! Personne n’y songe, et l’empereur lui-même, après avoir médité à loisir ce projet, ordonne à Regnault de Saint-Jean d’Angély de le présenter au sénat. Celui-ci, prenant la parole au nom de son maître, déclare en termes formels, et comme si le parlement de Paris n’avait pas déjà tranché la question le 29 juillet 1591, que la législation du domaine privé a n’est pas établie. Pour mieux assurer l’inaliénabilité du domaine de la couronne impériale, poursuit-il, Sa Majesté a voulu le séparer de tous les autres biens qui appartiennent à d’autres titres à la couronne ou à la personne même du monarque. Souvent le monarque est satisfait, l’homme ne l’est pas, et le souverain peut envier quelque chose à ses sujets. Il disposera du domaine extraordinaire, mais il n’en jouira pas. Il jouira du domaine de la couronne, mais il n’en disposera pas. Usufruitier de ces biens à jamais substitués, dépositaire de ces trésors, qu’il a le droit de distribuer, un empereur peut cependant regretter pour lui ou pour sa famille le plaisir attaché à la possession, à la disposition d’une propriété privée. Et si ces sentimens ou, si l’on veut, cette faiblesse trouve accès dans le cœur du monarque, cette loi serait-elle juste, serait-elle sage, qui le placerait entre le sacrifice de ses goûts et le sacrifice de ses devoirs?.. »

Que je plains le rédacteur des décrets du 22 janvier! Il a tout vu, tout lu, tout compulsé. Il a pâli sur les parchemins du moyen âge et, non content de secouer la poudre des greffes du XVIe siècle, s’est placé hardiment aux « époques les plus reculées de la monarchie. » Il n’a oublié dans notre histoire qu’un règne et qu’un homme : l’empire et Napoléon. Toujours lui! lui partout! avait dit en 1827 l’auteur des Orientales. Il semble, au contraire, pour le jurisconsulte de 1852, que Napoléon n’ait jamais existé. Les considérans du décret passent, sans transition, de 1790 à 1814. Si cette omission est involontaire, elle est ridicule; volontaire, elle est coupable. Le rédacteur de cet acte n’avait, en effet, que deux partis à prendre : ou ruiner de ses propres mains l’échafaudage de ses raisonnemens ou feindre d’ignorer un document qui les renversait. Il a pris le second. Mais la France ne pouvait oublier le nom qu’il s’obstinait à taire. Louis-Philippe, dit-il, en ne laissant pas s’opérer la réunion de ses biens privés au domaine de l’état, « souleva la conscience publique? » Alors l’empereur l’avait soulevée avant lui. Louis-Philippe commit une « fraude à une loi d’ordre public? » Alors l’empereur