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En fait, depuis quinze jours, la spéculation a pour ainsi dire disparu de la Bourse. Il n’y aurait là que demi-mal si le rôle de l’épargne avait grandi d’autant, Il n’en est rien ; les capitaux de placement font grève ; le marché du comptant n’est pas plus animé que celui du terme, et l’épargne n’achète rien, pas même la rente française.

Comment expliquer cette faiblesse de nos fonds publics, alors que les acheteurs à terme de 5 pour 100 par exemple peuvent s’assurer un revenu mensuel de 42 centimes, moyennant le sacrifice d’un report moyen de 15 à 17 centimes, tous frais de courtage compris ? Il faut tenir compte d’abord de la situation de la place. Si le nombre des acheteurs va diminuant, celui des vendeurs augmente. Il y a maintenant un découvert, phénomène qui n’avait pu être observé à notre Bourse depuis trois ou quatre ans au moins. Ce découvert ne rachète pas encore, ou du moins il ne rachète qu’accidentellement et dans l’intention de doubler ses ventes en cas de reprise.

D’un autre côté, l’attention du monde financier a été constamment portée sur les questions budgétaires et sur la discussion des mérites respectifs de l’état et de l’industrie privée à l’égard des constructions de chemins de fer. De nombreux articles ont été publiés, ayant pour objet de démontrer que nos finances sont en fort mauvais état et que, si nous n’y prenons garde, nous allons tomber, au point de vue économique, au rang des nations de troisième et de quatrième ordre affligées du déficit à l’état chronique. Les pessimistes ont eu mainte occasion de broyer du noir ; le discours de M. Hérisson à la grande commission des chemins de fer a posé de nouveau la question du régime de nos voies ferrées. M. Ribot, dans son rapport sur le budget, a établi que s’il n’y avait pas lieu de désespérer encore, il était opportun cependant de tout craindre. La Chambre a voté au pas de course le budget ordinaire et discute en ce moment le budget extraordinaire. M. Tirard a fait à cette occasion les aveux les plus candides.

Oui, la situation des finances est fâcheuse, le budget de 1883 est en déficit ; on dépense beaucoup trop pour les chemins de fer, les canaux et les bâtimens scolaires ; l’état ne peut pas construire à des prix aussi modérés que l’industrie privée ; on a procédé sans méthode à l’exécution du programme Freycinet. Mais les travaux sont commencés, il faut bien les finir ; à l’aide de quelles ressources ? On ne pourra pas toujours charger la dette flottante et il faudra bien un jour emprunter. Le ministre des finances le reconnaît formellement ; le dernier terme, la sanction des erremens financiers suivis jusqu’ici, c’est un grand emprunt en 3 pour 100 amortissable. Or il est avéré que l’état du marché ne comporte pas un emprunt, que l’amortissable déjà émis n’est pas classé, que le type ne plaît pas aux petits rentiers, enfin que si jamais le besoin d’emprunter se transforme en nécessité absolue, l’opération ne pourra s’effectuer qu’après une forte baisse des fonds