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retrouvait avec un esprit plus dégagé ; il n’était plus qu’un observateur pénétrant et fin, décrivant les institutions, les mœurs, les anomalies anglaises ; prenant prétexte d’un incident imprévu, de la mort d’un homme, d’une cérémonie nationale, d’un procès ; finissant par comprendre ou par avoir l’air de comprendre comment, dans une vieille et forte société, les traditions se concilient avec les libertés les plus étendues, avec les plus sérieux progrès. M. Louis Blanc racontait avec une humeur libre et un esprit vif cette histoire de tous les jours, une courte d’Epsom ou le banquet du lord-maire, une visite au Jardin de Shakspeare ou la mort du prince Albert. À parler franchement, ces pages sont plus intéressantes et même plus philosophiques que toutes les transfigurations de la révolution française, et que toutes les déclamations socialistes sur l’organisation du travail. Qu’on rende justice à l’écrivain et à ses qualités, rien certes de plus simple ; mais où était la nécessité de se prêtera des manifestations disproportionnées, de paraître confondre dans une sorte d’apothéose officielle l’homme de talent et le politique qui dans sa vie publique ne représente et n’a jamais représenté que les idées, les préjugés, les fanatismes révolutionnaires ? C’était évidemment dépasser le but par un faux calcul, par faiblesse pour des passions qui ne se sont même pas tenues pour satisfaites, qui, à ce qu’il semble, n’ont pu pardonner encore à M. Louis Blanc de s’être arrêté en chemin, de ne point être venu se jeter dans la fournaise de la commune en 1871. Aujourd’hui, ces funérailles plus ou moins officielles sont accomplies, et M. Louis Blanc reste pour tous ce qu’il a été, un homme qui avait trop de talent pour traîner dans les factions vulgaires, qui n’avait pis la raison assez forte pour s’élever au-dessus des vaines et décevantes tentations d’une fausse popularité.

L’Europe est, pour le moment, assez calme. Elle ne s’occupe guère ni des voyages de M. de Giers à Berlin, à Rome ou à Vienne, ni des tentatives pour former des alliances nouvelles, ni des négociations pour réunir une conférence au sujet de la crise égyptienne ; elle est à peine détournée de sa quiétude par les mystérieuses révolutions ministérielles qui se déroulent à Constantinople ou par la condamnation et l’exil d’Arabi, qui, à l’imitation de Napoléon, fait appel à la générosité britannique. Les questions générales, celles qui ont intéressé, qui peuvent intéresser encore tous les cabinets, semblent provisoirement suspendues ou assoupies. Les parlemens européens, récemment réunis, sont cependant à l’œuvre ; ils discutent leurs affaires intérieures, et tandis qu’à Rome les premières séances des chambres paraissent créer une situation singulièrement favorable au ministère ou, si l’on veut, au président du conseil. M. Depretis, le chancelier de Berlin, vient, de son côté, d’avoir un mécompte de plus avec son parlement allemand. M. de Bismarck, entre bien d’autres projets sur toue sorte de questions économiques et financières, a particulièrement, depuis