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s’attacher à des réformes sérieuses dont on parle toujours, font ce qu’ils peuvent pour violenter les consciences, pour mettre le désordre dans l’armée, dans la magistrature, dans les lois, dans les institutions. C’est toujours un danger, et des plus graves sans doute, que le mal soit là, dans ce monde officiel, qui, en définitive, est censé représenter la France aux yeux de l’Europe et qui, en certains momens, peut disposer du pays ; mais enfin il n’est que là, et, pour le guérir, il n’y aurait, en vérité, ni une révolution à accomplir ni les institutions à renouveler. Il n’y aurait tout simplement qu’à reconnaître sans faiblesse les causes de cette situation troublée sur laquelle l’Europe se méprend si souvent, qui fatigue l’opinion, et à changer de conduite, à revenir au bon sens, à attester la volonté de redresser la direction de la politique dans les affaires financières comme dans les affaires morales de la France.

C’est après tout la vraie question qui se débat depuis quelques mois, et cette question d’un changement nécessaire de politique ou de conduite, on aurait beau vouloir l’éluder, elle revient sans cesse, sous toutes les formes. Elle s’agitait ces jours derniers encore dans la discussion qui a recommencé sur cet éternel budget ordinaire et extraordinaire dont on ne peut venir à bout. Que les finances aient pris depuis quelque temps une importance particulière dans les préoccupations publiques, c’est assez simple, parce qu’ici tout se traduit en chiffres et on se trouve bientôt en face des conséquences précises, inexorables d’une fausse direction. C’est ce qui arrive, et maintenant on chercherait vainement à se faire illusion en renouvelant l’art de grouper les chiffres, en usant de toute sorte d’euphémismes : le déficit est toujours le déficit ; le développement démesuré des dépenses est un fait ; le gaspillage des ressources publiques est un autre fait tristement évident qui apparaît de toutes parts, M. le ministre des finances, en ouvrant cette discussion récente sur le budget extraordinaire par un exposé de ce qu’il a appelé le système financier et économique du gouvernement, a tenu sans doute à ne pas laisser prononcer trop haut le mot de déficit, à ne pas paraître alarmant ; il a voulu, lui aussi, montrer un certain optimisme et garder une bonne contenance. Il a fait tout cela cependant, il faut le dire, en brave homme, sans voiler la vérité, sans déguiser même la gravité de la situation. Il n’a point hésité à reconnaître que, depuis quelques années, on s’est laissé aller beaucoup trop complaisamment à une augmentation incessante de dépenses, sans s’apercevoir qu’à un certain moment, l’augmentation des recettes n’avait plus marché du même pas. Il n’a fait aucune difficulté de convenir qu’on avait trop multiplié les travaux de tout genre, qu’on s’était lancé dans l’inconnu, qu’il y avait là une « tendance mauvaise, » et que le moment était venu « de réfléchir, » de s’arrêter, de mettre un frein au déchaînement des crédits imprévus. M. le