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de Modi Maka et malgré quelques compétitions, celle entre autres d’Alfa Labé, le guerrier le plus célèbre qu’il y eût parmi eux, de nommer Karamoko Alfa chef suprême des Pouls.

Modi Maka était ce que l’on appelle en ouolof un diambouren, un parleur. C’était l’orateur, le leader des réunions politiques. Sa parole était respectée et la victoire lui restait toujours. On savait qu’il n’avait aucune ambition pour lui-même, il ne songeait, disait-il, qu’à son pays et se contenta toute sa vie d’être le président du conseil des anciens, poste que les Pouls reconnaissans transmirent ensuite à sa famille et qu’occupe aujourd’hui son fils Modi Djogo, l’homme le plus habile, le plus fin diplomate qu’il y ait peut-être au Soudan, où tout le monde n’est pas aussi naïf qu’on se le figure parfois, même après avoir vécu de longues années à la côte d’Afrique.

Parmi les chefs réunis à Fougoumba se trouvaient Tierno Colladé, Cheikou Kébali, le chef de Koin, le chef de Tembi, Cheikou Souleyman. Le premier appuyait la candidature d’Alfa Labé ; il voulait un guerrier à la tête des Pouls. La discussion, paraît-il, fut très vive, et ce n’est qu’en voyant l’indécision du conseil que Modi Maka parla de Karamoko, un des chefs de leur race et l’un des plus pieux parmi les musulmans. Le nom de Karamoko rallia tous les suffrages.

La chronique qui m’a été confiée par Alfa Suleyman, chef de Cousotomi, se rapporte à cette époque. J’ai pu, grâce à mon interprète, en traduire les débuts qui se rattachent à la fondation du Fouta et que je crois intéressant de faire connaître :

« Louange à Dieu, maître de l’univers, le clément, le miséricordieux, souverain au jour de la rétribution et qui nous dirige dans le sentier droit ! Conduis ma main pour écrire ce livre ; donne-moi la mémoire, afin que je n’oublie aucun des noms de nos ancêtres, de ceux qui les premiers ont commencé à prier le Très-Haut suivant les rites de l’islam et à faire la propagande religieuse (la guerre sainte : djihad), à élever des mosquées. Ils étaient nombreux. C’étaient : Cheikou Ibrahima, Sarabégou, Cheikou Alfa Faïmo, Alfa Laadiamo, puis les grands marabouts Karamoko Alfa, Cheikou Ibrahima Sory, Yoro Bori, Alfa Samba Bouria, Cheikou Ousman Fougoumba, Cheikou Kébali, Cheikou Hamadou Koukalabé Mahou, Cheikou Salifou Bala, Cheikou Souleyman Timbi-Tounni, Cheikou Mohamadou Sellou Molabé, et Mahou Tisatou. »

Ces chefs et ces marabouts avaient formé de nombreux talibês. Ils se réunissaient à Fougoumba pour lire et commenter le Koran. Ils se posaient des questions sur le Prophète et s’excitaient à la prière. C’est à Fougoumba que la guerre sainte contre les infidèles fut décidée. Tous, maîtres et talibés, furent unanimes. Ils se levèrent, saisirent leur lance, qu’ils jetèrent l’un après l’autre contre un arbre appelé doundouké. Celui qui toucherait l’arbre devait être proclamé