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Karamoko avait eu pour maîtres Tierno Samba, marabout renommé qui habitait alors Fougoumba, et devait mourir plus tard à Bouria, où j’ai vu sa tombe, qui est un lieu de pèlerinage. Il existe même une coutume à ce sujet : il est défendu à l’almamy, aux chefs et aux simples citoyens d’entrer à cheval dans cette ville ; tous doivent mettre pied à terre pour rendre hommage à Tierno Samba. Nous nous sommes conformés à cet usage lors de notre passage. Tierno Samba avait également pour halité (élève) Maka Djoba, devenu plus tard chef du Bondou et grand-père de Bou-Bakar Saada, l’almamy actuel.

Les Pouls, devenus nombreux, riches et puissans, commençaient à lever la tête et parlaient de convertir, les armes à la main, les Dialonkés fétichistes qui refusaient de croire au vrai Dieu. De nombreux conciliabules eurent lieu à Fougoumba, point central situé à égale distance de Timbo et de Labé ; mais la réunion la plus célèbre fut tenue entre Broualtapé et Bombolé, dans un endroit connu des marabouts seuls, sur les bords d’un ruisseau sacré. C’est là que fut décidée la guerre à outrance contre les Keffirs ou infidèles. Les marabouts donnèrent à l’endroit où se réunissait la conférence le nom de Fouta-Djalon, désignant par ce nom seul le but à poursuivre : l’unité nationale des Pouls et des Dialonkés convertis de gré ou de force, — et comptant plus tard étendre ce nom à tout le territoire compris entre le Niger et l’Océan. C’est de là d’abord, de Fougoumba ensuite, que sont partis les mots d’ordre qui dirigeaient les fidèles pour les grandes guerres de l’islam.

Presque tous les prêcheurs de guerre sainte ont commencé par se livrer à la méditation dans la solitude, et cette façon d’agir n’a pas peu contribué à leur succès en frappant l’imagination populaire. « Karamoko Alfa, me disait le chef de Fougoumba, Alfa Hamadou, venait de se marier depuis peu avec une jeune et belle fille. Un jour, il annonça à sa femme que Mohammed lui était apparu et lui avait dit que, s’il priait longtemps, isolé de tous les siens. Dieu lui donnerait la gloire de convertir les infidèles et qu’il deviendrait le chef de son pays. Karamoko se retira dans une case à Fougoumba et y resta pendant sept ans, sept semaines et sept jours à demander à Allah la conversion des idolâtres. Jamais il ne permit à sa femme de pénétrer jusqu’à lui. Il vécut seul, jeûnant toute la journée, ne prenant qu’une faible nourriture que lui faisait passer un captif après le salam du soir. « Il y avait sept ans, sept semaines et sept jours qu’il vivait ainsi dans l’isolement et le recueillement le plus absolu, lorsque son épouse, frappant à la porte, lui cria : « Allah soit loué ! tes prières ont été entendues, et le Fouta te réclame comme chef pour le conduire contre les infidèles. » Tous les anciens, en effet, réunis à Fougoumba, venaient sur la proposition