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les reproches les plus passionnés… pendant que Mrs Currie, stupéfaite, consternée, semblait changée en tête de Méduse !

Je ne cherchai pas à me défendre ; car si je n’étais pas aussi coupable que j’en avais l’air, la colère de mes voisins n’était néanmoins que trop facile à comprendre.

Soit par délicatesse, ou pour ne pas s’exposer à être pris d’un fou rire, Travers s’éclipsa le premier ; puis la famille Currie se rapprocha en silence du banc sur lequel j’étais assis, et chacun, pour tout adieu, me fit un signe de tête qui n’était, hélas ! que trop significatif. Quand je n’aperçus plus rien de la blanche toilette de Lilian dans le jardin, je posai ma tête sur la table et me pris à pleurer comme un enfant.

Je demandai un congé et je fis un voyage… Le lendemain de mon retour, tout en faisant ma barbe, je vis une petite plaque de marbre placée contre le mur du jardin du colonel ; je pris ma lorgnette et je lus, mais non sans horreur, l’inscription suivante :


À LA CHÈRE MEMOIRE

DE BINGO TUÉ CRUELLEMENT ET MYSTÉRIEUSEMENT PAR UN VOISIN ET AMI

JUIN MDCCCLXXXII


Si ce récit tombe jamais sous les yeux de mon voisin, j’ose espérer qu’il aura l’humanité ou d’enlever, ou de modifier cette plaque commémorative. Je ne saurais dire ce que je souffre, lorsque j’entends des amis curieux épeler les mots cités plus haut et surtout lorsqu’ils insistent pour que je leur en explique le sens ! Il m’arrive parfois de rencontrer les Currie dans le village. Lorsqu’ils passent près de moi en détournant la tête, je sens la rougeur me monter au front… Maintenant Travers se promène souvent, bien souvent avec Lilian… Il lui a donné un terrier.., je sais qu’ils prennent les plus grandes précautions pour l’empêcher de se fourvoyer dans mon jardin.

Je voudrais pouvoir leur dire qu’ils n’ont rien à redouter de moi… J’ai tué un chien !


F. ANSTEY.

(Traduit par HEPBELL.)