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Je ne puis ici résumer et discuter les vues originales et profondes qu’il émet à ce sujet. Il y aura grand profit à les étudier dans le livre même. Je dois me borner à dire brièvement ce qui m’en paraît essentiel.

Pour corriger les inconvéniens du parlementarisme, deux ordres de réformes ont été indiqués : les premières s’appliquent à la nature des affaires que le parlement doit régler, c’est-à-dire aux attributions de l’état ; les secondes se rapportent au mode de les régler, c’est-à-dire au mécanisme du gouvernement.

L’une de ces réformes, qui est souvent préconisée porte un nom très populaire : c’est la décentralisation. Il est évident que, moins nombreux sont les intérêts que règle le pouvoir central, moindres sont les maux qui résultent de l’instabilité des ministres et de l’incompétence des chambres. On peut même dire que la décentralisation est la forme propre de la démocratie. Si vous la poussez à bout, vous pouvez avoir, sans trop d’inconvéniens, même la législation directe par le peuple, comme dans les démocraties de la Grèce antique et dans les cantons alpestres de la Suisse, ou bien le referendum, c’est-à-dire l’acceptation ou le rejet par le suffrage universel des lois votées par les députés. Le paysan, incapable de diriger la politique générale, peut très bien intervenir dans l’administration des affaires de son village ; aucune révolution universelle n’est à craindre, car le gouvernement est pour ainsi dire acéphale. La vie politique est répandue partout, mais elle n’est concentrée nulle part. Chaque partie de l’état ayant ses tendances particulières, jamais la même fièvre ne peut le saisir tout entier. Le rôle des assemblées nationales est si effacé qu’on soupçonne à peine leur existence. Les radicaux ou les conservateurs dominent-ils dans les conseils fédéraux à Berne ? On l’ignore dans le reste de l’Europe, et même en Suisse, cela importe assez peu. En Norvège, autre pays démocratique, le parlement est tout-puissant, car le pouvoir du souverain est presque nul : néanmoins l’activité parlementaire est réduite et n’exerce qu’une influence très restreinte sur la vie nationale. Dans les états où règnent à la fois la centralisation et la démocratie, tout le monde s’accorde à dire qu’il faudrait diminuer les attributions des autorités centrales pour accroître celles des communes et des provinces. Il n’est pas jusqu’à M. Guizot qui ne regrette de ne pas l’avoir fait. « Pour guérir ce mal, dit-il dans ses Mémoires (t. I, p. 189), un double travail était à faire. Il fallait, d’une part, faire pénétrer la liberté dans l’administration des affaires locales, et de l’autre, seconder le développement des forces locales capables, dans leur sphère, d’exercer le pouvoir. »

Les régimes changent : la république succède à la monarchie,