Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en écumant les mers. Les brigands ne vivent plus dans les grottes des montagnes : ils se pavanent sur les places publiques, dans les sièges des juges et des législateurs, et ils se font nommer colonels ou généraux. Tricher est une affaire de bourse qui enrichit les plus habiles et les moins scrupuleux. Enlevons le masque au XIXe siècle, et sa civilisation, dont il est si fier, cachera à peine la brutalité des mœurs du XIIe siècle, qui étaient plus franches et moins malhonnêtes. » Déjà on se plaint en France que les influences politiques faussent la balance de la justice. Dernièrement le procureur-général de la cour d’appel de Paris n’hésitait pas à dire dans un discours officiel : « Les juges de paix s’inquiètent plus des opinions politiques de leurs justiciables que de la légitimité de leurs demandes, et ils se demandent si une bonne élection ne vaut pas mieux qu’un bon jugement. »

Loin de porter atteinte à l’inamovibilité des magistrats, il faut donc la fortifier par tous les moyens. Leur nomination et leur avancement doivent même être soustraits à l’arbitraire du ministre. On y parvient en faisant dresser, par des corps indépendans les uns des autres, pour toute place vacante, une liste double de présentation, ainsi que cela se fait en Belgique. En Italie, on a aussi réclamé et momentanément obtenu que le ministre ne pût même point déplacer un magistrat sans son consentement, parce que le droit d’envoyer un juge de Turin à Palerme et de Venise à Sassari devenait parfois un moyen d’influence illicite. Mieux on se rendra compte des conditions indispensables au maintien de la démocratie, plus on s’efforcera d’assurer l’impartialité de la magistrature, en la soustrayant aux influences de parti en même temps qu’à l’action du pouvoir.


VI.

J’ai essayé de montrer quelques-uns des inconvéniens et des dangers que rencontre le régime parlementaire dans les pays qui présentent cette fâcheuse anomalie d’être à la fois très démocratiques et très centralisés. Comment échapper aux conséquences qui résultent de ces situations contradictoires, c’est-à-dire, comment concilier l’esprit de suite indispensable à la direction des affaires d’un grand pays avec la mobilité de résolutions propre aux assemblées délibérantes, surtout dans les démocraties ? M. Minghetti consacre la dernière partie de son livre à l’examen de cette importante et difficile question. [1]

  1. Lire à ce sujet le livre de M. Albert Desjardins cité dans l’excellent travail publié ici même par M. Arthur Desjardins (Revue du 1er  août). Voir aussi celui de M. Mirabelli, l’Inamobilità della magistratura nel regno d’Italia. Napoli, 1880.