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masse des affaires qu’une centralisation excessive met à leur change est plus considérable.

Un autre reproche que l’on peut faire à l’influence des partis dans le régime représentatif, c’est l’abus de l’intervention des députés dans toutes les branches de l’administration. C’est pour prouver la vérité de cette observation que M. Minghetti a écrit son livre, qui n’est au fond qu’une réponse aux violentes attaques qu’elle lui avait attirées[1]. Il n’a nulle peine à montrer que le mal qu’il a cru devoir dénoncer à l’attention de ses concitoyens, n’est nullement spécial à l’Italie et que, au contraire, il semble inhérent au régime parlementaire appliqué dans un état fortement centralisé. Ici il multiplie les citations empruntées aux différens partis et il trouve les plus écrasantes dans les auteurs américains. Je résumerai seulement ce que dit à ce sujet un écrivain français peu suspect d’exagération et, s’occupant du gouvernement représentatif en France sous Louis-Philippe dont certes il n’était point l’adversaire, je veux parler de M. Hello et de son livre du Régime constitutionnel. Il montre d’abord les

  1. Dans un discours éloquent, prononcé à Naples le 8 janvier 1880, M. Minghetti avait cité Aristote montrant comment toutes les formes de gouvernement dégénèrent, la monarchie aboutissant à la tyrannie, l’aristocratie à l’oligarchie et la démocratie à la démagogie. Puis il avait recherché les causes qui amènent la déformation du gouvernement parlementaire, et, parmi celles-ci, il avait signalé l’ingérence indue des députés dans toutes les affaires publiques concernant l’état, les provinces, les communes et même les corps moraux et les institutions de bienfaisance Cela provoqua une tempête dans la chambre : on demanda la mise en accusation de l’insolent orateur qui avait attenté à l’honneur du parlement M. Minghetti répondit que le mal qu’il a ait signalé n’était pas propre à l’Italie ; qu’il existait plus ou moins dans tous les pays constitutionnels sur le continent ; que des écrivains étrangers l’avaient noté également ; et qu’il ne pouvait taire une vérité évidente, sur laquelle au contraire il était urgent d’attirer l’attention de tous. Visitant l’Italie avant que ce discours fût prononcé, j’avais été moi-même très frappé de l’abus qu’il indique et dont on m’avait cité une foule de preuves. Je me permets de rappeler ce que j’écrivis à ce sujet dans mes Lettres d’Italie (1880), écrites au jour le jour, sous l’impression directe des faits ou des conversations : « Un autre fléau de l’Italie, c’est l’abus des influences parlementaires ; nous en souffrons déjà beaucoup en Belgique, mais le mal est plus grand ici, parce que, à défaut de partis nettement tranchés sur lesquels ils puissent s’appuyer, les ministres et les administrations ne peuvent résister. Le député doit se faire le serviteur des solliciteurs qui l’assiègent, sous peine de perdre leurs voix ; et le ministre doit donner satisfaction aux députés pour former ou pour conserver sa majorité. Dans les nominations, on tient moins compte des nécessités du service ou du service ou du mérite des candidats, que des recommandations des membres du parlement Devant eux, à Rome comme en province, chacun tremble et tous cèdent. Les lois, les règlemens, l’équité, l’intérêt public, pour leur complaire tout est mis en oubli Il y a là une source permanente de désordres, de dilapidations, de favoritisme et de mauvaise gestion. » L’économiste anglais Thornton s’était exprimé dans le même sens (Macmillan Magazine, janvier 1880). Ce que j’avais observé en Italie n’était point pour moi chose nouvelle : je l’avais remarqué dans mon pays, — et, en France même, ne voit-on rien de pareil ?