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de la plupart des souverains ses contemporains, et qu’il était à même de suivre jour par jour la marche changeante des affaires européennes. Un président de république ne peut jamais avoir une position semblable, ni réunir en ses mains les mêmes sources d’information. Personnellement il inspirera peut-être la plus grande confiance ; mais demain il rentrera dans la vie privée et fera place à un successeur poursuivant des visées complètement différentes ; car la direction qui sera suivie dépendra d’un caprice, d’un revirement du suffrage universel ou de la majorité dans la chambre. Londres ou Saint-Pétersbourg engagent une négociation avec un ministre disposé à l’action : un plan de conduite est arrêté en conséquence ; mais quand vient le moment de le réaliser, un nouveau ministre occupe le pouvoir, et celui-ci est d’avis que rien ne vaut une magistrale inaction. Les autres puissances sachant qu’elles ne peuvent compter sur rien éviteront à leur tour de s’engager. Il est donc absolument certain que le régime parlementaire dans un état démocratique est, par sa constitution même, incapable de faire de bonne politique étrangère. Pour cela, tout lui manque : les traditions, les informations, les alliances, les desseins réfléchis et surtout, ce que rien ne remplace, la suite dans les idées et la durée. Ce qu’il peut faire de plus sage est de concentrer toute son attention et toute son activité au développement intérieur du pays. Ce rôle est-il indigne d’une grande nation ? Nullement : ç’a été, jusqu’à présent, celui de la grande république américaine et elle n’a pas lieu de s’en plaindre. Un peuple qui, absolument dévoué à la paix, parviendrait à faire marcher les institutions démocratiques de façon à assurer l’ordre, la liberté, l’instruction et le bien-être pour tous, exercerait, par l’exemple, une influence bien plus grande qu’en se mêlant aux luttes d’influence et aux combinaisons diplomatiques qui constituent toute la politique extérieure.


IV.

Il faut oser le dire, car l’expérience de chaque jour le démontre, le régime parlementaire, ne en Angleterre pour régler un petit nombre d’affaires, n’est pas fait pour être le mode de gouvernement de l’état moderne, avec les mille attributions qu’on lui a successivement imposées sur le continent. On est confondu quand on songe à la foule d’intérêts et de gens qui dépendent des ministres. En France, ils disposent tout d’abord d’une somme de trois milliards qui dépasse le revenu cadastral de toutes les terres. En outre, ils contrôlent les budgets des communes, des départemens et des institutions de bienfaisance, qui s’élèvent encore à un bon milliard. Ils