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se coalisent, obtiennent la majorité et renversent. le ministère ; et bientôt le même manège recommence.

Il ne faut point prendre prétexte de ceci pour jeter la pierre ni aux Italiens ni aux Grecs. Ce déplorable régime politique n’est pas la conséquence des vices du caractère national, mais l’effet inévitable du système parlementaire, quand il n’existe pas de partis nettement séparés. En France, dans une chambre nombreuse et où les plus graves problèmes sont soulevés, l’aspect est différent, mais l’instabilité du gouvernement n’est pas moindre. Dans le Caprice, d’Alfred de Musset, M. de Léry dit : « Ce sont de drôles d’auberges que vos ministères ! on y entre et on en sort sans savoir pourquoi.. C’est une procession de marionnettes. » C’est ce que. M. P. Leroy-Beaulieu démontrait récemment par des chiffres exacts : « Depuis le 4 septembre 1870, le ministère de l’intérieur a été occupé par vingt-trois passans qui ont été parés pendant six mois chacun, en moyenne, du titre de ministre. Depuis le 20 août 1881, c’est-à-dire juste depuis un an, la France a possédé quatre cabinets, ce qui donne à chacun trois ou quatre mois d’existence. »

Saut le dernier mot, injuste autant qu’irrévérencieux, la boutade de Musset est bien plus vraie qu’au temps où elle a été écrite ! Les ministères n’ont ni durée ni consistance, ils se renouvellent fréquemment, et même pendant qu’ils subsistent, le terrain à chaque instant se dérobe sous leurs pas. Un cabinet se constitue ; une immense majorité salue son arrivée au pouvoir ; de grandes choses vont s’accomplir. Quelques semaines se passent ; la majorité est disloquée ; malgré le plus brillant déploiement d’éloquence, elle ne suit pas au scrutin son chef, tout-puissant la veille. Le ministère se retire, un autre se forme ; il se maintient plus longtemps, mais presque chaque jour un incident imprévu, un vote de hasard forcent l’un ou l’autre ministre à déposer son portefeuille. Le chef du cabinet, qui ne peut compter sur une armée fidèle, toujours prête à le suivre, ne peut avoir nulle autorité, nulle attitude ferme. S’il fait mine de vouloir imposer sa volonté, il porte, dit-on, atteinte à la dignité de la chambre. S’il se résigne à attendre d’elle une impulsion ou des inspirations, on lui reproche de n’être qu’un commis ou une girouette. Il ne peut gouverner qu’en louvoyant, cédant aujourd’hui, se dérobant demain, résistant parfois, mais toujours au risque d’une chute, harcelé par les interpellations, compromis dans les conflits les plus infimes, jamais sûr du lendemain. Ces combinaisons ministérielles qui se font et se défont sans cesse comme les tableaux des dissolving views, ou qui passent et se transforment comme les nuages au ciel, ont nécessairement pour effet de paralyser ou d’affaiblir les rouages de l’administration. Celle-ci, quand elle est bien organisée et bien composée, comme en France, peut marcher toute