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d’étranges surprises du scrutin, suivant les questions mises en discussion. Un cabinet n’est jamais sûr de sa majorité. À chaque instant, elle peut lui faire défaut. Aujourd’hui, il obtient un vote de confiance qui réunit les deux tiers des votans ; peu de jours après, il tombe, sur un incident de peu d’importance. Chaque jour il doit travailler à maintenir ses partisans unis, par des transactions, des concessions et des combinaisons. Un chef de groupe se croit-il blessé par un procédé même extra-parlementaire, par exemple, un coup de chapeau trop peu affable, il se fâche, boude, refuse les votes dont il dispose, et la majorité est compromise. Un autre groupe, cette fois, local et provincial, réclame une route, un pont, un chemin de fer : il faut tout lui accorder ou il va grossir l’opposition, et celle-ci triomphe. La somme d’esprit, d’adresse, d’éloquence et de souplesse qu’un ministère doit dépenser pour durer un an est prodigieuse. Le travail le plus lourd de la diplomatie est jeu d’enfant à côté de ceci. La chambre est un sable mouvant où aucune administration solide ne peut s’asseoir. De là résultent des crises ministérielles fréquentes. Il y en a eu beaucoup plus qu’il ne s’est écoulé d’années depuis que le royaume d’Italie existe. Le nombre des anciens ministres siégeant à la chambre est considérable. Ce sont autant de dynasties déchues et de prétendans avec qui il faut compter. Ailleurs on se plaint de manquer d’hommes d’état, ici ils surabondent et chacun commande un petit corps d’armée. Le talent parlementaire consiste à en enrôler assez pour être le plus fort ; mais on ne peut jamais compter absolument sur aucun, le jour de la bataille. S’agit-il de former un ministère, chacun de ces groupes y réclame sa place. En Angleterre, les chefs de deux grandes armées étant désignés d’avance par leurs anciens faits d’armes, comme chez les Grecs et les Troyens d’Homère, le scrutin qui fait tomber un ministère désigne le cabinet qui doit le remplacer. En Italie, il n’en est pas de même ; plusieurs combinaisons se présentent toujours comme possibles, et dans toutes, il faut donner satisfaction aux influences rivales.

Il est impossible que tous les hommes, même s’ils se rattachent à une tendance générale, aient en tout les mêmes idées. Ils peuvent avoir le même but, mais ils différeront nécessairement sur les moyens de l’atteindre. Si chacun veut faire prévaloir ses vues et son système, aucune majorité ne pourra se constituer d’une façon durable. S’agit-il, par exemple, d’établir un impôt nouveau : un ministère appuyé sur une majorité compacte et disciplinée le fera voter tel qu’il le propose, malgré les divergences d’opinion qui existent parmi ses partisans sur les détails de son application ; mais si la division des partis n’impose pas l’union, on n’arrivera à rien. Tel