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fin de notre siècle verra la chute définitive du règne parlementaire. » Le fait est que partout il subit une crise. Dans sa patrie d’origine, en Angleterre, il cesse presque de fonctionner. Sans cesse arrêté, il n’est plus capable de faire des lois ; il n’a d’autre résultat que de harasser les députés et de tuer les ministres. Dans le pays-modèle de toutes les libertés, aux États-Unis, le congrès est devenu, dit-on, le champ clos des politiciens vulgaires, et les hommes les plus éminens se retirent de la vie publique. En France, tout le monde se plaint : le sénat doit être réformé sans tarder, et quant à la chambre, suivant les uns, elle se laisse pétrir, comme pâte molle, par un ministre habile ; suivant d’autres, elle impose à une administration sans volonté ses velléités décousues et ses projets improvisés. En Italie, le parlement est un kaléidoscope : jamais deux séances consécutives n’offrent le même aspect. Les groupes sont sans cesse en voie de transformation. Une interpellation, un ordre du jour, une crise et un changement de ministère, voilà tout le mécanisme parlementaire. À la fin d’une séance où la confusion avait été au comble, un des hommes politiques les plus distingués de l’Italie me disait : « N’est-il pas étrange que dans un siècle qui a fait de l’éclair son serviteur portant notre pensée, en un instant, aux extrémités de l’univers, et éclairant nos rues et nos maisons, un pareil régime politique soit encore ce que nous pouvons avoir de mieux ? » En Allemagne, le parlement est maté ou annihilé par la volonté de fer d’un grand ministre. En Espagne, grâce à de brillans orateurs, les cortès jettent quelque éclat, entre un pronunciamiento et un coup d’état, mais les Espagnols prétendent que leurs chambres font peu de besogne. En Autriche, le Reichsrath est réduit à l’impuissance par les rivalités des nationalités qui s’y entre-choquent. Dans l’unique chambre de la Grèce, les partis se livrent des combats atroces où l’intérêt du pays est complètement oublié. Dans cette esquisse rapide je n’ai recueilli que l’avis des indulgens. Voulez-vous entendre une parole plus sévère ? écoutez ce qu’écrivait M. Louis Blanc, le 7 mai dernier : « Petites conceptions, petites manœuvres, petites habiletés, petites intrigues, voilà de quoi se compose l’art de conquérir une majorité dans une assemblée législative qui dure longtemps. On y arrive à ne plus tenir compte que de ce qu’on a devant soi, autour de soi, et le pays est oublié. » À la fin d’une séance récente, où la chambre avait émis trois ou quatre votes contradictoires, pour finir par tour rejeter, M. Clemenceau disait : « Le parlementarisme ainsi compris devient vraiment une occupation d’un genre tout spécial. »

Je voudrais étudier quels sont les vices du régime parlementaire appliqué au gouvernement d’une société démocratique et chercher si on ne peut y porter remède. Pour m’aider dans ce travail, j’ai