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noblesse et où perce clairement la pensée de rétablir un corps héréditaire de privilégiés, une noblesse dotée de diverses prérogatives. « Un des moyens, disait l’empereur, les plus propres à raffermir cette institution serait d’y associer les anciens nobles ; » mais il tenait à ce que ceux-ci reçussent des titres nouveaux émanant de lui seul, qu’ils prissent les nouvelles armoiries qu’il leur aurait données, et il excluait formellement les émigrés et ceux qui demeuraient attachés à la vieille dynastie.

Cette noblesse, qui fit revivre en France des titres que la révolution avait si sévèrement proscrits, ne disparut point avec le régime impérial, et ceux auxquels elle avait été conférée ne firent pas grande difficulté de trahir leur serment. La charte de 1814 leur maintint, comme il a été dit plus haut, les qualifications nobiliaires qu’ils tenaient de la faveur de Napoléon Ier, et autour du trône des Bourbons restauré nombre de nobles de l’empire vinrent se mêler aux gentilshommes de la vieille monarchie qui avaient repris leurs titres. Il en fut de ce mélange comme de l’association que voulut faire Louis XVIII de l’ancien et du nouveau régime. Malgré divers caractères communs, la noblesse de Napoléon Ier et celle des rois légitimes différaient profondément. L’une avait une constitution arrêtée et systématique sans traditions, l’autre avait des traditions sans constitution régulière ; l’une était la création d’un homme, l’autre avait été le produit du temps ; l’une rappelait l’omnipotence d’un souverain qui voulait que tout lustre, toute dignité émanât de lui, l’autre prenait son origine dans les efforts des mandataires du roi pour se rendre indépendans. On ne pouvait amalgamer ces deux noblesses sans détruire l’esprit de l’une ou de l’autre, sans affaiblir leur valeur respective. Au lieu de gagner au rapprochement des deux aristocraties, les titres nobiliaires perdirent considérablement de leur importance. Le gouvernement eut beau s’empresser de conférer un titre à ceux qui acquéraient de la notoriété dans la politique, dans l’administration, dans la science, dans l’armée, afin que la noblesse eût toujours l’air de comprendre toutes les sommités de la nation, ce fut presque constamment du sein des classes moyennes et bourgeoises, dont la révolution de 1789 était l’œuvre, que sortirent sous la restauration les hommes les plus distingués, ceux auxquels s’attacha la popularité. La démocratie minait la digue qu’on avait essayé de lui opposer par l’institution de la nouvelle noblesse qui, associée à l’ancienne, trouvait sa plus haute expression et comme sa représentation dans une chambre des pairs héréditaires. Le génie de la révolution l’emporta sur la transaction entre les institutions impériales et les traditions de la vieille monarchie que Louis XVIII s’était flatté d’effectuer. La chute de la branche aînée des Bourbons porta un coup mortel à cette noblesse, qui gardait