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M. Jouin de Saint-Charles, on propose de rétablir trois ordres dans l’état, mais ce ne sont plus précisément ceux que la révolution a abolis. Ces trois états sont celui de la noblesse, celui des cadets et celui de la roture. Dans un autre mémoire composé par l’ex-tribun Émile Gaudin, maire de la commune d’Ivoy-le-Pré (Cher) et qui est daté du 20 fructidor, an XIII, on réclame la création d’une noblesse reposant sur les bases de l’esprit nouveau, et ne présentant pas les inconvéniens de l’ancienne noblesse féodale. Mais de tous ces mémoires adressés à l’empereur, le plus remarquable est sans contredit celui que le duc de Lévis, qui s’appelait alors simplement M. de Lévis, lui fit parvenir en août 1806. Il y proposait l’établissement d’un nouveau système de noblesse et notamment l’institution d’un sénat héréditaire. Cette noblesse devait être fondée sur la propriété foncière et ses membres nommés de façon à y faire entrer les représentans des anciennes familles.

Plus tard, Cambacérès, qui devait être plus écouté que ces particuliers dont plusieurs gardaient l’anonyme, soumit sur le même sujet un rapport à Napoléon Ier. Il n’y était pas question de ressusciter une noblesse sur le modèle de celle de l’ancien régime dont les privilèges étaient exorbitans et abusifs, mais d’instituer une noblesse qui serait dotée de certaines prérogatives, suivant le rang, et ayant une part dans la puissance politique. Cambacerès demandait notamment d’assurer aux nouveaux nobles un certain nombre de places dans les corps constitués (corps électoraux, conseils-généraux, corps législatif, sénat). Le décret du 1er  mars 1808, qui compléta celui de 1806, fut l’application de ces idées. Par ce décret, l’empereur fit. revivre les titres de prince et d’altesse sérénissime pour les grands dignitaires de l’empire, et donna à tout fils aîné d’un de ces dignitaires le droit de porter le titre de duc de l’empire, lorsque son père aurait institué en sa faveur un majorat produisant 200,000 francs de revenu. Le titre et le majorat étaient alors transmissibles à sa descendance directe et légitime, naturelle, ou adoptive, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture. Le décret comprend en outre les dispositions suivantes : les grands dignitaires de l’empire pourront instituer pour leur fils aîné ou puîné des majorats auxquels seront attachés le titre de comte ou de baron, suivant les conditions déterminées. Les ministres, les sénateurs, les conseillers d’état à vie, les présidens du corps législatif, les archevêques porteront pendant leur vie le titre de comte et en recevront des lettres patentes. Ce titre sera transmissible à leur descendance directe et légitime, naturelle ou adoptive, de mâle en mâle, par ordre de primogéniture. Les archevêques désigneront pour héritier l’un de leurs neveux. Un revenu de 30,000 francs était exigé pour obtenir le titre de comte de l’empire, dont un tiers