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leur prénom, mais par le nom de quelque propriété, ou même par celui du village où ils avaient été nourris. Contrairement à l’opinion qui veut voir dans le de une marque de noblesse, opinion qu’a réfutée un érudit qui savait à fond les choses du moyen âge, Paulin Paris, c’était l’aîné seul qui ne prenait pas le de. Il conservait ainsi, comme par droit d’aînesse, le dépôt du nom de famille. Un siècle plus tard, les ignorans tinrent ce de des cadets de la bourgeoisie pour un indice de noblesse, et telle était déjà, en 1789, la tendance à regarder la particule génitive comme une désignation nobiliaire que plusieurs hommes de la révolution qui s’étaient donné auparavant un nom pourvu du de se hâtèrent de s’en de faire pour n’avoir pas l’air d’être des ci-devant.

La tourmente révolutionnaire balaya donc tous les titres, mais elle n’en fit pas disparaître le goût ; dès que la tempête se fut calmée, on vit rapidement lever les germes d’une vanité qui n’avait été coupée qu’à ras de terre. Un nouvel ordre de choses allait leur permettre de pousser de vivaces tiges.


III.

Napoléon Ier tenta de ressusciter au profit de sa dynastie une partie des institutions que la révolution avait abolies ; il voulait ainsi donner à son trône un éclat auquel ne suffisaient pas, à ses yeux, les victoires qu’il avait remportées, et, entre ces institutions du passé, se place la noblesse. En rétablissant les titres et les privilèges honorifiques, il pensait reconstituer une aristocratie qui serait pour la monarchie impériale une force et un lustre et qui servirait de contrepoids à une démocratie dont il redoutait les progrès. Sa chute l’empêcha de réaliser sur ce point tous ses projets.

Pour un homme sorti, comme l’était Napoléon, de la révolution, et qui s’en donnait comme le représentant, c’était chose délicate de faire accepter à la nation, surtout aux hommes dont il était entouré et qui avaient servi la république, l’institution d’une noblesse. Il y avait là une dérogation formelle aux idées d’égalité pour lesquelles la France s’était tant passionnée, pour le triomphe desquelles tant de sang avait été répandu. La faveur qu’obtint l’institution de la Légion d’honneur enhardit Napoléon. Il comprit que ce qui avait été détruit, comme contraire à l’égalité des droits, pourrait revivre présenté simplement sous la forme de récompense nationale. Le titre d’empereur n’avait-il pas été pour lui-même la haute récompense de ses victoires ? Ne pouvait-il pas attribuer des titres rappelant la monarchie et d’un ordre moins élevé que le sien à ses lieutenans, à ceux qui avaient été les compagnons de ses succès ? Il songea donc à leur donner