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prendre à son propre fils un titre inférieur au sien, mais de même dénomination, le puîné et ses enfans se contentaient d’une qualification moins élevée que celle de la branche aînée, dont ils retenaient pourtant le nom, titre qu’ils échangeaient contre un titre plus élevé si la branche aînée venait à s’éteindre. Cela explique comment, contrairement aux règles qui présidaient, dans le principe, à la transmission des fiefs, diverses branches de la même famille portèrent le même nom de fief avec une qualification nobiliaire différente. Il y avait par exemple, à côté d’une branche ducale, une branche de comte ou de vicomte. C’était là une première confusion ; elle s’accrut par l’usage où furent les enfans, du vivant de leur père, surtout les puînés, de prendre à la guerre ou dans le monde un nom de noblesse de fantaisie, tout au moins un nom emprunté à quelque ascendant. Ceux des fils qui entraient dans l’état ecclésiastique en agissaient de même. Le gentilhomme se rendait-il célèbre sous ce nom d’emprunt qu’acceptait sa propre famille, il le gardait sans se mettre en peine d’obtenir l’agrément du roi, qui fut cependant quelquefois formellement accordé. On pourrait citer bien des exemples de ces changemens arbitraires de noms dans les grandes familles de France. Je n’en rappellerai que deux qui suffiront pour donner une idée des libertés qu’on s’arrogeait en pareille matière. Des quatre fils de Jules-François-Louis de Rohan, prince de Soubise, l’aîné, qui fut le trop fameux maréchal, hérita du titre paternel, qu’il porta de bonne heure, son père étant mort à vingt-sept ans ; le second, qui entra dans l’église et devait être plus tard le cardinal de Soubise, fut d’abord appelé l’abbé de Ventadour ; le troisième fut connu sous le nom de comte de Tournon, et le quatrième, bien loin de ne porter que la modeste dénomination de chevalier, était désigné sous le sobriquet de prince René, emprunté à l’un de ses noms de baptême ; le fils du maréchal, mort en bas âge, reçut le nom de comte de Saint-Pol. Dans une autre illustre famille qui a compté quatre maréchaux de France, nous voyons le fils du second maréchal, Adrien-Maurice, duc de Noailles et comte d’Ayen, porter d’abord le titre de marquis de Mouchy, puis l’échanger pour celui de comte de Noailles et reprendre le nom de Mouchy en devenant maréchal, nom auquel s’attacha la qualification de duc que le roi d’Espagne lui avait d’abord donnée. Ce maréchal de Mouchy fit prendre à son troisième fils, devenu le premier de ses enfans par la mort des deux aînés, le titre de prince de Poix, et au dernier de ses fils, d’abord connu sous le nom de chevalier d’Arpajon que ce cadet, avait pris en mémoire du comte d’Arpajon, son aïeul maternel, le titre de vicomte de Noailles, tandis qu’on appela marquis de Noailles le second des neveux du maréchal de Mouchy, fils puîné de son frère aîné, Louis, duc de Noailles, également maréchal de