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les points du territoire, le plus souvent dans un intérêt purement électoral, sans aucun souci de l’utilité ou de l’importance relative des lignes entreprises. Ces travaux, une fois commencés, ne peuvent être arrêtés ; ce serait compromettre et probablement anéantir tout le fruit des dépenses déjà faites. La commission du budget a donc décidé, d’accord avec les ministres des finances et des travaux publics, qu’on poursuivra en 1883 l’achèvement de tous les tronçons de lignes ferrées déjà attaqués, et que le déficit qui en pourra résulter pour le budget, déficit évalué à 100 millions de francs, sera couvert par les ressources habituelles de la dette flottante.

Voilà pour 1883. Mais les exercices suivans ne nous réservent-ils pas des résultats plus fâcheux encore au point de vue de l’organisation même des travaux et plus dangereux au point de vue de nos finances ? Le système de l’exécution des grandes entreprises de construction par l’état n’est-il pas jugé par ses premiers fruits, et ne serait-il pas prudent et politique de renoncer à de vaines utopies, en se ralliant à un système dont l’excellence n’est plus à démontrer ? Nous voulons parler du recours à l’industrie privée.

Les choses en étaient là et ces questions étaient l’objet de discussions passionnées dans la presse, tandis que la baisse sévissait sur notre marché, quand le bruit a commencé à se répandre que des négociations étaient engagées ou allaient s’engager entre le gouvernement et les grandes compagnies de chemins de fer. Un discours prononcé par le ministre des travaux publics, à l’ouverture des séances de la grande commission des chemins de fer, a été interprété comme l’indice des dispositions très conciliantes dont on était animé dans les régions officielles ; des nouvelles à sensation concernant de prétendues entrevues entre le président du conseil et un très haut banquier, et présentant l’accord espéré comme déjà conclu, ont circulé avec persistance pendant quelques jours ; il n’en a pas fallu davantage pour provoquer, vendredi et samedi de la semaine dernière, un revirement très brusque dans les allures de la spéculation et faire renaître l’illusion, tant de fois déçue déjà, que la baisse avait dit son dernier mot.

Cette reprise a été très violente. Le 3 pour 100, qui avait perdu le cours de 80 francs, s’est relevé à 81 francs ; le 5 pour 100 de 113.65 a été porté à 115.30 ; le Crédit foncier, coté un moment 1,275, valait trois jours plus tard 1,370 ; le Suez regagnait plus de 150 francs à 2,520. Mais cette chasse au découvert ne pouvait avoir qu’un succès éphémère. On avait bien pu forcer les petits spéculateurs, baissiers par occasion, à se racheter précipitamment ; rien ne prouvait que les vendeurs sérieux, ceux qui mènent le mouvement depuis deux mois, et qui devaient être bien renseignés sur la réalité des faits annoncés, eussent pris peur et abandonné leurs positions.