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mots spirituels et piquans, et quand on se donnerait aujourd’hui, comme on le fait, la maligne et facile satisfaction d’objecter à M. Léon Say qu’il a lui-même participé à cette politique, qu’il a été ministre des finances plus que tout autre dans ces dernières années, les faits qu’il dévoile en sont-ils moins saisissans ? Ils existent, de telle sorte que, par tous les chemins, par la guerre aux croyances, par des réformes qui ne sont que de l’agitation, comme par la désorganisation administrative et financière, on arrive au même point, à cet état de trouble et de lassitude dont souffre le pays sans savoir toujours pourquoi il souffre. On cherche les causes du mal : les voilà ! elles sont dans une sorte d’anarchie officielle, dans l’asservissement de toutes les idées justes et de toutes les forces légitimes de gouvernement aux passions, aux préjugés, aux fanatismes, aux iniquités et aux cupidités de parti. Le résultat, c’est cette situation où il faut pourtant s’arrêter. « Il est bien temps pour les chambres d’ouvrir l’oreille à la vérité, » dit M. Léon Say, — et, d’un autre côté, un républicain qui n’est pas apparemment suspect, M. Challemel-Lacour, dit à Marseille : « L’heure est enfin venue non de maintenir la république, mais de la sauver par la conciliation… Si les gouvernemens succombent, c’est pour s’être compromis par leurs propres fautes et par leurs maladresses. »

Eh bien ! cette situation étant donnée, la question est de savoir ce qu’on veut faire à la session prochaine, quels moyens on compte prendre pour remettre un peu d’ordre et d’équilibre dans les affaires de la France. Que les partis absolus ne voient un dénoûment ou un remède que dans un changement complet d’institutions, c’est leur rôle. Ce qu’ils rêvent est peu vraisemblable pour le moment et ne serait, dans tous les cas, réalisable que par l’imprévu, par où de ces coups de théâtre qui s’appellent des révolutions. Le secret d’une amélioration nécessaire, il n’y a évidemment à le chercher que dans les combinaisons possibles dans le cadre constitutionnel tel qu’il existe. Il faut tâcher de se servir des ressources dont on dispose encore. Rien n’est plus commode, sans doute, que de tout expliquer par les divisions de partis, par le fractionnement des groupes parlementaires et de faire appel à l’union des républicains, à la réconciliation des groupes, des chefs de partis. Soit ; et après ? Ces partis dont on parle, qu’on veut réconcilier, et les chefs qui les dirigent ou qui sont censés les diriger, ils ont eu le pouvoir depuis quelques années ; ils ont été au gouvernement avec M. Jules Ferry, avec M. de Freycinet, avec M. Gambetta, puis encore avec M. de Freycinet. Ce sont justement ces ministères qui ont conduit à la crise où l’on se débat aujourd’hui par la politique qu’ils ont suivie, par leurs concessions incessantes à une prétendue majorité, par leurs complaisances pour des passions auxquelles ils ont livré la magistra-