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reste jusqu’à la fin. Lorsqu’à la lueur d’un éclair, il reconnaît sa fille morte, il demeure atterré, mais atterré comme le serait M. Bernard s’il apprenait la faillite de la mai-on Fourchambault, Il peut bien s’attendrir au deuxième acte, où Triboulet justement n’est qu’un bourgeois dans sa maison et pleure sa défunte femme en caressant sa fille : il ne peut se transformer en bouffon shakspearien, ni en justicier de tragédie. Il a beau brandir sa marotte ou faire daguer un roi, il garde cette gravité moderne qu’il n’a pu dépouiller avec la redingote. Il nous est pénible de voir ce digne homme se traîner aux pieds de ces damoiseaux ; mais nous ne pouvons au dénoûment prendre au sérieux ses fureurs. Enfin, à force d’art, il peut dans ce drame lyrique paraître dramatique par endroits : — j’ai déjà noté avec éloge son entrée du troisième acte ; — mais, pour lyrique, il ne l’est pas, et je dis pas un moment. Sa voix, son geste bref, son débit saccadé, — qui supprime les e muets, — toute sa diction, tout son jeu, tout son talent répugne au lyrisme. Or, si le drame ne peut être joué, le poème, tout au moins, exige qu’on le déclame, — j’allais dire : qu’on le chante. M. Got rompt à chaque instant le rythme et la musique du vers : il dit cette poésie comme la prose du duc Job. Il la dit avec justesse, qui pourrait en douter ? Il l’apprendrait merveilleusement à un camarade mieux doué que lui. Le Roi s’amuse, par M. Got, c’est un opéra lu par un professeur : je demande un élève qui le chante.

J’écris sans y penser : le Roi s’amuse par M. Got. C’est qu’en effet, nous le savons de reste, il n’y a qu’un rôle dans l’ouvrage. M. Mounet-Sully figure le médiocre personnage du roi : il le figure plus que médiocrement, malgré sa belle prestance et sa grande voix. M. Febvre, en Saltabadil se montre bon comédien, et M. Maubant, sous le nom de Saint-Vallier, détestable tragique : cela n’a rien qui nous étonne. Pourquoi n’avoir pas donné le rôle de Saint-Vallier à M. Silvain ? Mlle Bartet, qui joue Blanche, est de tout point exquise ; elle est délicieusement décente, amoureuse et chaste ; elle dit le vers avec une netteté qui n’exclut pas la grâce. Mlle Samary fait Maguelonne : c’est une soubrette de comédie et non une ribaude de drame héroïque ; ses petites mines, ses petits cris, ses gestes sont étriqués et faux. Nommerai-je Mlle Jouassain, qui représente dame Bérarde, et Mlle Frémaux qui a hérité de Julia Feyghine le petit rôle de Mlle de Cossé ! Hélas ! c’est de celle-là qu’on devait dire, après avoir traité de divines Mmes de Vendôme, d’Albe et de Montchevreuil :


Madame de Cossé les passe toutes trois !


Comme l’héroïne de ce drame, elle a murmuré un soir :


… Je n’ai plus qu’à mourir, —