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amorphe, provenant de matières ulmiques préalablement dissoutes. Cette fusion pâteuse aurait été la suite du développement d’abord, puis de l’entassement, au sein des vastes étendues marécageuses, d’un grand nombre de plantes palustres. Il convient de les placer à portée d’un fleuve qui aurait eu, comme le Nil, des temps de crues et dont les eaux gonflées, refluant bien au-delà des limites ordinaires, se seraient ensuite renfermées de nouveau dans leur lit. Dans ces conditions, pour obtenir des eaux pures, comme le Nil le fait voir chaque année dans la Haute-Nubie, il suffit qu’il existe des bassins supérieurs, traversés par des eaux du fleuve. Elles s’y décantent et vont ensuite envahir les plaines inférieures en entraînant tous les détritus organiques qui se trouvent sur leur passage, tous les résidus de plantes qui, durant la saison sèche, ont encombré le sol des marais, pour les transporter jusque dans les dépressions au fond desquelles se forme le lit charbonneux graduellement stratifié. Telle est sans doute la meilleure façon de comprendre et d’expliquer l’origine des stipites de Fuveau. Dans ce processus, on reconnaît à la fois la différence des époques, par l’intervention d’un fleuve ayant, comme le Nil et le Gange, ses crues périodiques, et l’analogie du mode de formation, par le transport des résidus végétaux, au moyen d’eaux pures de tout autre apport.

Avançons encore de plusieurs pas pour nous placer au milieu du tertiaire et apprécier le mode probable de formation des lignites de Manosque. Ici, le combustible est loin d’avoir les caractères de la houille. C’est un charbon bitumineux dont la structure schistoïde est due à l’alternance de lames ternes et résineuses. Il existait certainement auprès de Manosque un grand lac au fond duquel des affluens avaient longtemps accumulé des couches variées d’argile, de grès et de calcaire. Ce lac, comblé en partie, dut être envahi, vers l’époque où se déposèrent les lignites, par une ceinture de végétaux aquatiques ou de plantes palustres dont les traces sont encore visibles dans certains lits. Les joncs, les massettes, les nénuphars couvraient alors de vastes étendues, le long des bords de la nappe lacustre. Les arbres eux-mêmes, amis des stations fraîches, les séquoias, les aunes, les charmes, les peupliers, plusieurs érables s’aventuraient sur un sol mouvant et par places à demi submergé. C’est dans ces conditions que se formèrent les couches de lignites. Pour expliquer cette formation, on est bien forcé d’admettre que le lac de Manosque, converti en lagune marécageuse, disparaissait partiellement sous un épais tapis de verdure, qu’il avait des temps de crues pendant lesquels ses eaux débordaient et des saisons d’assèchement qui amenaient la décomposition d’une masse de végétaux. De là, sans doute, des encombremens de résidus que l’action périodique des