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de la Pucelle se sont presque exclusivement préoccupés jusqu’à ce jour, c’est Jeanne elle-même qui les a affirmées jusqu’à la mort, et personne n’a le droit de mettre en doute la sincérité de son témoignage. Le seul rôle qui convienne à la critique est de rendre hommage à cette sincérité, en réservant la question de la réalité objective des faits miraculeux attestés par l’accusée de Rouen dans ses dépositions. On admet ou on rejette un miracle, on ne l’explique pas.

Toutefois, si l’histoire doit prudemment se garder de toute intrusion dans le domaine du surnaturel, il ne lui est pas interdit de travailler à en éclairer les abords. Les théologiens qui font autorité semblent convier la science à cette libre recherche, puisque c’est un de leurs axiomes que la grâce bâtit presque toujours sur la nature. Envisagée à ce point de vue, la mission de Jeanne d’Arc est comme un arbre merveilleux dont la cime monte jusqu’au ciel, mais dont les racines plongent dans un milieu réel que la critique a pour tâche de reconstituer. Cette reconstitution patiente, minutieuse, nous avons tenté de la faire dans le cours de ce travail, autant du moins que la pénurie des documens nous l’a permis.

Pour résumer en deux mots cet essai, nous nous sommes efforcé de montrer que les premières apparitions du chef de la milice céleste à la Pucelle ont suivi de très près des faits tels que le miracle de La Rochelle et la défaite des Anglais devant le sanctuaire de l’archange, faits où la foi populaire en la protection spéciale de Dieu sur Charles VII et la cause du roi légitime par l’entremise de saint Michel, venait de trouver une confirmation éclatante. Il est facile d’imaginer l’impression profonde que ce concours de circonstances a pu produire sur l’âme la plus compatissante, la plus croyante, la plus héroïquement enthousiaste, sur le cœur le plus français qui fut jamais. Aussi, sans établir précisément un rapport de cause à effet entre des événemens d’un caractère purement humain et des phénomènes de l’ordre surnaturel, il importait peut-être de constater l’étroite connexité, au moins topographique et chronologique, qui relie les seconds aux premiers. Sans contredit, la partie miraculeuse de la mission de Jeanne d’Arc échappe essentiellement à l’investigation scientifique, et pourtant qui donc oserait affirmer d’une manière absolue que les faits exposés ci-dessus n’ont pas contribué dans une certaine mesure à soulever, sur les sublimes hauteurs où la religion et le patriotisme devaient la transfigurer, la jeune paysanne de Domremy ?


SIMÉON LUCE.