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témoin de qui elle émane avait été l’un des trois premiers compagnons de la Pucelle, Jeanne aurait dit ceci pendant son séjour à Vaucouleurs en lévrier 1429 : « Il n’y a personne au monde, ni roi, ni duc, ni fille de roi d’Écosse, ni autres, qui puisse recouvrer le royaume de France. » Ces mots que nous avons soulignés « ni fille de roi d’Ecosse » fournissent la preuve que la jeune paysanne de Domremy était dès lors au courant, quoiqu’elle eût quitté son village depuis quelques jours seulement, des négociations échangées entre Jacques Ier et Charles VII au sujet du mariage projeté de Marguerite, fille aînée du roi d’Ecosse, avec Louis, dauphin de France. Or, nous avons, aux Archives nationales, l’original de la procuration donnée par le père de la jeune princesse à Henri, évêque d’Aberdeen, pour traiter de ce mariage, et cet acte est daté de Saint-Johnston ou Perth, le 12 juillet 1428. Par un autre acte du 19 du même mois, Jacques 1er prend l’engagement d’envoyer sa fille en France. Enfin, l’instrument authentique par lequel Charles VII constitue à sa future belle-fille un douaire de 15,000 livres tournois de rente annuelle, porte la date du 30 octobre suivant. Il en faut conclure, à moins de supposer un miracle, qu’on connaissait déjà dans un obscur village de la châtellenie de Domremy le projet de mariage dont il s’agit quelques mois à peine après que les premiers pourparlers avaient été échangés.

En présence de ce fait et pour les raisons énumérées plus haut, on est amené à croire que l’été de 1425 ne s’est pas passé sans que les habitans de la châtellenie de Vaucouleurs aient été informés, soit par la rumeur publique, soit par des pèlerins, soit par un message spécial de leur souverain, du double échec sur mer aussi bien que sur terre, subi par les Anglais devant le Mont-Saint-Michel vers la fin du mois de juin précédent. On se figure aisément l’enthousiasme mêlé d’espérance que dut y exciter cette nouvelle, enthousiasme d’autant plus vif que, dans ce succès dont une abbaye dédiée à saint Michel avait été le théâtre et dont quelques-uns des plus dévoués partisans de Charles VII étaient les héros, personne n’hésita à reconnaître la main de l’archange protecteur de la France et du roi légitime. Les défenseurs du Mont et leurs alliés avaient combattu, ainsi que le disait plus tard Jeanne d’Arc au sujet de ses propres succès, mais c’est le chef de la milice céleste qui avait remporté la victoire. L’opinion du temps est fidèlement résumée dans ce vers latin composé par un moine du Mont Saint-Michel, contemporain de la Pucelle, à l’occasion d’une autre défaite des Anglais en 1434 :


Pardos jugulavit Cancro, Michael, tua virtus.