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Dans une situation aussi critique, les défenseurs du Mont, stimulés par leurs succès antérieurs et par la haine implacable qu’ils avaient vouée aux Anglais, soutenus par leur foi en la protection de saint Michel, ne désespérèrent pas, et leur courage grandit avec le péril. Entourés par l’ennemi d’un cercle de fer, en proie à une disette croissante de vivres aussi bien que de munitions, ils appelèrent à leur aide les habitans de Saint-Malo, leurs voisins et leurs fidèles alliés. Les Malouins, encouragés sous main par le duc de Bretagne, Jean VI, qui ne craignait rien tant que de voir aux mains des Anglais l’une des clés de son duché, du côté de la Normandie, s’empressèrent de répondre à l’appel des défenseurs du Mont-Saint-Michel. Les marins de Saint-Malo étaient dès lors les premiers corsaires du monde. Avec la connivence de leur évêque, le cardinal Guillaume de Montfort, ils équipèrent une flottille dont Briand de Chateaubriand, sire de Beaufort, amiral de Bretagne, prit le commandement. Sur ces marches de Normandie et de Bretagne, non-seulement la dévotion au sanctuaire de l’archange était alors de tradition dans toutes les classes, mais encore des alliances séculaires avaient établi les liens les plus étroits entre la plupart des familles fixées sur la frontière des deux provinces. Aussi vit-on les plus grands seigneurs bretons, les Goyon, les Montauban, les Mauny, les Coetquen, les Combourg, les La Vieuville, les Tinténiac, les La Bellière, monter à l’envi sur la flottille malouine avec le même élan enthousiaste que s’il se fût agi d’une croisade. En réalité, ils ne prenaient pas seulement les armes pour venir en aide à leurs parens et amis du Mont ; ils voulaient aussi se venger des Anglais, qui, sans tenir compte de la neutralité de la Bretagne, avaient confisqué les importantes seigneuries que beaucoup de grandes maisons de cette province possédaient en Normandie, et notamment dans l’Avranchin et le Cotentin.

Dans les derniers jours du mois de juin 1425, la flottille de secours vint attaquer à l’improviste les navires ancrés dans la baie du Mont-Saint-Michel. Les Bretons eurent fort à faire, car les bâtimens des Anglais étaient plus hauts que les leurs, s’il en faut croire Le Baud et d’Argentré. Par suite de cette infériorité, ils se trouvèrent d’abord en butte au tir plongeant de leurs adversaires, qui les criblèrent de traits et jetèrent sur eux des pots enflammés. Pour échapper à ce désavantage, les Malouins s’élancèrent à l’abordage la hache à la main. « En ces mêlées sur mer, dit le vieil historien d’Argentré, on ne peut reculer d’une semelle, il faut mourir sur la place. » Il y eut des prodiges de bravoure départ et d’autre. Finalement, les assaillans trouvèrent le moyen de cramponner les vaisseaux ennemis, qu’ils envahirent en s’accrochant aux cordages.