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samovars à la panse renflée surmontés d’animaux archaïques ; sur l’argent mat courent des cordons d’inscriptions en lettres slavonnes, qui jouent dans l’ornementation russe le même rôle que les sentences koufiques dans l’ornementation arabe. Le style national, qui trahit la grande architecture, est parfaitement approprié au travail des métaux précieux, avec ses élémens raccourcis, ses lignes raides, son bariolage de couleurs. On sait quelle place tient dans l’orfèvrerie moscovite l’emploi des émaux mariés à l’or ou à l’argent mat. Le danger de cette décoration est dans le ton criard que donne parfois cette accumulation de losanges verts, rouges et bleus. M. Ovtchinnikof a trouvé un outremer très pâle, d’un effet charmant dans les rainures d’un service d’argent. Ce même artiste a voulu se signalera l’exposition par une conquête plus importante ; il a ressuscité le procédé byzantin des émaux cloisonnés appliqués à la figure humaine. Jusqu’ici, sur les pièces émaillées, on se contentait de peindre les figures ; l’orfèvre de Moscou nous présente un évangéliaire avec le Christ en croix et les douze apôtres, reproduits en cloisonné. Les nervures d’or figurent les côtes, les saillies des muscles et des os ; la pâte rose simule la chair. Le résultat n’est pas encore parfait, mais le procédé est acquis, M. Ovtchinnikof a dérobé un autre secret aux Japonais ; il expose deux pots d’un bel émail rouge avec des applications de feuillages en argent ; l’ombre portée par ces feuillages est naturellement obtenue sur l’émail par un artifice de cuisson. Je n’en finirais pas d’énumérer les trouvailles et les élégances accumulées dans cette salle, les nielles délicates, imitées du Caucase et bien perfectionnées, les nimbes d’icones en gemmes et émaux copiés sur le diadème d’une tsarine du XVIIe siècle, les couvertures de missels où le filigrane de vermeil et les réseaux de perles enlacent élégamment des fleurs d’émail blanc. Il faut se borner et terminer en admirant la pièce de résistance de l’exposition, le monument symbolique de la libération des Bulgares, toujours chez M. Ovtchinnikof. Ce monument, d’un mètre de haut, représente un cavalier abritant une jeune fille dans les plis du drapeau sur un socle de marbre rouge ; par une heureuse invention, on a rompu la monotonie du socle en faisant courir sur les plinthes deux soldats. Bulgare et Monténégrin. Ces deux figurines sont exécutées avec une hardiesse et un sentiment de vie dignes de la renaissance. J’ai plaisir à constater qu’elles ont été modelées par un de nos compatriotes, M. Lanseret, le même qui a renouvelé ici le bronze d’art avec ses groupes de chevaux kosaks et de bachi-bozouks si naturels, si mouvementés. Ce jeune artiste fait autant d’honneur à sa patrie d’origine qu’au pays où il travaille.

Je vais être injuste et ne donner que quelques lignes à l’art industriel et décoratif, m’étant laissé trop entraîner par son grand frère.