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Montpellier quittait cette ville en masse pour faire le pèlerinage du Mont : « Le dit an 1393, lit-on dans une chronique locale, les enfans de onze à quinze ans se rassemblèrent en grande foule à Montpellier et par tout le royaume de France et aussi dans les autres royaumes et pays pour aller au Mont-Saint-Michel en Normandie. » Ainsi, voilà des bandes d’enfans de onze à quinze ans qui entreprennent de traverser la France de part en part malgré le mauvais état, l’insécurité des routes, la longueur et les difficultés multiples d’un pareil trajet ! Assurément, rien ne prouve mieux l’espèce de fascination que le culte de saint Michel, et la dévotion envers le plus vénéré de ses sanctuaires exerçaient partout sur les imaginations pendant les dernières années du XIVe siècle.

L’infortuné Charles VI semble avoir beaucoup contribué à communiquer un nouvel élan à ce mouvement. Atteint du mal terrible qui devait lui enlever la raison, il fit dans les premiers mois de 1394 au Mont-Saint-Michel un voyage à la suite duquel il recouvra pendant quelque temps toute la lucidité de son intelligence. Il n’hésita pas à attribuer cette amélioration passagère de sa santé à l’intercession du vainqueur de Satan. Dans sa reconnaissance pour le chef de la milice céleste, il décida que la porte d’Enfer s’appellerait désormais porte Saint-Michel. Il voulut, en outre, qu’une fille à laquelle Isabeau de Bavière donnai le jour sur ces entrefaites, reçût le nom de Michelle.

La dévotion à saint Michel avait toujours été très populaire sur les marches de la Champagne, de la Lorraine et du Barrois. Comme dans l’Avranchin, elle s’était substituée dans cette région, dès les premiers siècles du christianisme, au culte du Belenus gaulois ou du Mercure gallo-romain. Aussi, la recrudescence de cette dévotion, qui marqua le règne de Charles VI, ne se fit-elle pas moins sentir dans les diocèses de Langres et de Toul que dans les autres parties de la France. Sous cette influence, Fem de Lorraine, comte de Vaudemont, et Marguerite de Joinville, sa femme, fondèrent, le 30 juillet 1414, une chapelle dédiée à saint Michel sur le penchant de la colline où s’élevait leur château de Joinville. C’est aussi de cette époque que date une chapelle de Saint-Michel qui couronnait, au XVe siècle, la montagne de Sombar dans la banlieue de Toul. L’archange enfin était le patron du Barrois, c’est-à-dire du pays natal de la mère de Jeanne. Le mouvement une fois donné, le concours des circonstances politiques allait bientôt lui imprimer, comme nous le verrons tout à l’heure, une impulsion irrésistible.