Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/644

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peu près inaperçus, nous met en mesure de faire à cette question une réponse affirmative.


I.

Si l’on embrasse du regard l’ensemble des annales de notre pays au point de vue hagiographique, chaque époque de notre histoire nationale, on pourrait presque dire chaque dynastie de nos rois, paraît avoir eu en quelque sorte un saint de prédilection. Martin, l’apôtre des Gaules, est le saint par excellence de l’époque mérovingienne et de nos rois de la première race. Pendant la période suivante, le culte de saint Pierre jouit d’une vogue exceptionnelle, comme si le rôle de protecteurs de la papauté, pris avec tant d’éclat par les premiers Carolingiens, avait contribué à redoubler la vénération de leurs sujets pour le prince des apôtres. Un troisième saint fait pour ainsi dire son avènement avec les rois de la dynastie capétienne : nous voulons parler de saint Denis, dont l’oriflamme ou bannière devient la bannière même de la France.

Si Martin est le saint des Mérovingiens, Pierre le saint des Carolingiens, Denis le saint des Capétiens, on peut ajouter que Michel est le saint des Valois, du moins à partir de la seconde moitié de la guerre de Cent ans[1]. La dévotion en cet archange, considéré comme le protecteur spécial de la personne et de la couronne de nos rois, est un des traits caractéristiques de l’histoire religieuse de notre pays au XVe siècle. Dès la fin-du siècle précédent, on voit le pèlerinage au Mont-Saint-Michel, expression populaire de cette dévotion, prendre un développement vraiment extraordinaire. Des parties les plus reculées, de la France et, l’on pourrait ajouter, de l’Europe, des bandes pieuses, composées parfois de jeunes garçons qui entraient à peine dans l’âge de l’adolescence, s’acheminaient sans cesse vers l’abbaye bas-normande située, comme on disait alors, au péril de la mer. La vogue singulière de ce pèlerinage à l’époque de Charles V et de Charles VI est attestée par des faits sans nombre. Nous n’en citerons que deux, qui n’ont pas encore été relevés par les historiens du Mont, et qui nous paraissent tout à fait significatifs. Dans l’espace d’une année, depuis le premier août 1368 jusqu’à la fête de Saint-Jacques, c’est-à-dire jusqu’au 25 juillet 1369, l’hôpital de la confrérie de Saint-Jacques à Paris hébergea seize mille six cent quatre-vingt-dix pèlerins allant la plupart au Mont-Saint-Michel ou revenant de ce sanctuaire. Vingt-quatre, ans plus tard, la jeunesse de

  1. Ces erremens ont été suivis par la dynastie des Bourbons qui, voulant avoir elle aussi son patron spécial, a fait choix de saint Louis.