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hommes qui croient à la nécessité d’une base autre que notre suffrage universel, mobile et passionné, pour asseoir le pouvoir souverain sur lequel tout repose, refuser le droit de répéter sans cesse, et nonobstant les accidens qui en ont interrompu le cours, que la monarchie seule peut garantir de toute atteinte le fondement de l’édifice social, parce qu’elle ne permet pas aux ambitions privées de spéculer sur les variations de la souveraineté et qu’elle rend ainsi la marche du progrès possible et sûre, alors qu’il n’est plus entravé par des révolutions intéressées et des destructions inutiles ? À quoi servent toutefois ces controverses répétées et ces débats sans fin ? En sort-il une solution, et n’ont-ils pas pour unique conséquence de perpétuer l’agitation ? S’ensuit-il cependant qu’il faille renoncer à toute critique des fautes que la politique fait commettre chaque jour et taire les dangers dont le pays est menacé ? Non sans doute ; on doit simplement retourner les termes de la démonstration, et, dans les rapports qui existent entre la politique et les finances, au lieu de prendre le bon ou le mauvais état des dernières comme la conséquence de celle-ci, on obtiendrait plus aisément gain de cause en montrant à quel point la solidité financière de l’état, sans laquelle rien ne dure, réclame telle ou telle marche dans le gouvernement.

Aujourd’hui d’ailleurs, le seul argument à faire valoir auprès des masses, la seule préoccupation qui puisse les atteindre, est le soin de leurs intérêts. Si ces intérêts étaient menacés, elles se soulèveraient avec une telle violence que toute révolution politique deviendrait en un moment facile. Blâmer une passion aussi exclusive ne servirait de rien : chercher à la satisfaire devient le devoir de ceux qui gouvernent. Quand, avec mesure et sincérité, on porte la lumière sur une question vitale pour les intérêts matériels, on obtient tout de suite le succès mérité. C’est ce qu’avait fait l’avant-dernier ministre des finances, l’honorable M. Léon Say, lorsqu’il dévoila au pays l’abîme financier que l’on côtoyait sans le voir. Sa déclaration ne pouvait être suspecte, et là où des hommes très compétens, comme MM. Buffet et Bocher, ne trouvaient que des incrédules en accusant notre budget de cacher des mécomptes et des défaillances, M. Léon Say a convaincu tous les esprits sensés du danger d’une situation financière qui ne comportait plus d’illusions et exigeait un prompt remède. Ce grand service rendu au pays sera-t-il perdu, et même après sa sortie du ministère, sa politique lui survivra-t-elle ? En un mot, son successeur maintiendra-t-il les mêmes dispositions du budget ? On l’a espéré un moment ; mais aujourd’hui on semble revenir aux anciennes imprudences, c’est-à-dire à l’accroissement de la dette flottante et à l’emprunt.

C’est sur un point particulier des recettes et des dépenses publiques,