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d’abord par l’éloignement que les élèves témoignèrent pour le grec. L’étude du grec est, dans l’éducation littéraire, le fondement du reste : quand on l’exclut des classes, l’enseignement aussitôt souffre et baisse. On a essayé plusieurs fois, en le sacrifiant, de sauver le latin ; c’est le moyen le plus sûr de les perdre tous les deux. Muret le voyait bien. « Nous pouvons prédire, disait-il, que si l’on se met à négliger les Grecs, on ruinera, on détruira certainement tous les arts libéraux. » Il faut lui rendre cette justice qu’il fit tout son possible pour le sauver. M. Dejob nous montre qu’il prit plusieurs fois des auteurs grecs pour sujet de ses leçons. Grâce à lui, Platon et Aristote parurent sur les programmes de l’université de Rome, mais ils ne purent jamais s’y maintenir. Après un semestre ou deux, les cardinaux qui surveillaient les études insinuaient doucement au professeur qu’il ferait bien de renoncer à ces matières ingrates, et, après s’être fait un peu prier, le professeur obéissait en maugréant. Du reste, les cardinaux, en pesant sur lui, ne faisaient que s’accommoder au goût des élèves. « Que voulez-vous ? disait Sirleto, l’un des hommes les plus éclairés du sacré collège, on ne peut pas obtenir d’eux qu’ils aiment les lettres grecques. » La plupart ne savaient pas le grec et ils étaient forcés de suivre les explications de Muret sur une traduction latine. Dans ces conditions, Aristote et Platon ne pouvaient pas leur plaire. On comprend qu’ils aient demandé qu’on les en délivrât ; mais on est surpris qu’ils l’aient si aisément obtenu.

C’est qu’alors les écoliers faisaient la loi. Pour retenir dans la faculté des arts cette masse flottante d’étudians paresseux, toujours prêts à la quitter, il fallait faire sans cesse des concessions nouvelles. Bientôt l’indiscipline fut à son comble. Muret, dont l’enseignement avait excité d’abord tant d’enthousiasme, finit par n’être pas plus respecté que les autres. Comme il avait beaucoup d’esprit, il se défendit quelque temps par des saillies plaisantes qui mettaient les rieurs de son côté. « Un jour qu’un étudiant, pour troubler le cours, agitait une clochette de bélier, Muret s’écria : « Pour tant de bêtes, il faut bien un conducteur. » Mais l’esprit ne suffit pas toujours pour dompter la turbulence des écoliers. Muret vieillissait ; ses forces commençaient à le trahir. Il était réduit à mendier de ses élèves, d’un ton dont l’humilité nous attriste, a une heure de silence et d’attention. » Il remplaçait quelquefois ses leçons publiques par des conférences particulières qu’il faisait dans sa maison et d’où les mauvais élèves étaient exclus : « Chez moi, disait-il, nous n’avons rien à craindre de cette lie et de cette bourbe ; s’ils osaient essayer de se mal conduire, on leur fermerait la porte sur le dos ; et, s’ils voulaient