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voyages. Ils y trouvaient des facilités qu’aujourd’hui, avec nos communications rapides, nous ne possédons pas. Sans doute nous voyageons plus vite, ce qui est un grand avantage, mais arrivés dans le pays où nous voulons aller, nous y sommes complètement étrangers ; nous entendons parler une langue que nous ne comprenons pas, il faut nous faire à des usages, à un tour d’esprit, à des idées qui ne sont pas les nôtres. Ces causes de gêne et d’embarras n’existaient pas pour un homme instruit qui voyageait au moyen âge. Au milieu des nations diverses, les lettrés formaient comme un monde à part, où l’on ne s’exprimait qu’en latin. Ce monde avait pour ainsi dire sa capitale, l’Université de Paris, qu’un pape appelait « la source de toutes les sciences, le fleuve d’où découlaient toutes les vertus : scientiarum fontem irriggum, flucimque virtutum, » et qui communiquait ses usages et ses idées à tous les savans de la chrétienté. À Prague, à Upsal, à Copenhague, comme à Toulouse et à Strasbourg, un clerc de l’Université de Paris se retrouve comme chez lui, parmi les clercs ses confrères. Le lendemain de son arrivée, il peut monter en chaire, enseigner ou prêcher ; il et sûr d’être compris. On ne connaissait guère alors de nationalités diverses dans la science. Tous ceux qui avaient lu Aristote ou Pierre Lombard et qui savaient construire un syllogisme, d’un bout de l’univers à l’autre, étaient concitoyens. C’est ainsi que Baduel visita Louvain, Liège, Bruges, où il connut l’Espagnol Vivès, l’un des plus beaux génies de la renaissance, et qu’il suivit, à Wittenberg, les leçons de Mélanchton. De retour à Paris, après toutes ces pérégrinations, il y occupa quelque temps une chaire de professeur royal. C’est alors que ses compatriotes lui proposèrent de retourner à Nîmes pour diriger l’université naissante. Il y revint, rapportant de ses voyages beaucoup de connaissances variées qu’il avait acquises un peu partout, une grande facilité à tourner agréablement le latin, et surtout une méthode particulière d’enseignement, qu’il appliqua tout de suite au Collège des arts et qui allait renouveler les études.

En quoi consistait véritablement cette méthode ? Quelles étaient au juste les nouveautés qui furent alors introduites dans l’enseignement et d’où vient qu’en quelques années il changea complètement de caractère ? C’est une question fort importante et qu’il convient de traiter avec quelques détails.

On se contente ordinairement de dire, d’une manière générale, que l’élan donné aux esprits par la renaissance et la culture de l’antiquité ont ranimé les écoles. Cette explication ne me paraît pas suffisante. C’était assurément une révolution de remplacer l’Organon d’Aristote et le Livre des sentences par les grands écrivains de