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qui permissent de les convertir rapidement en bateaux capables de recevoir des chevaux et des fantassins ? L’organisation de la flottille rencontrera, ne le mettez pas en doute, plus d’un concours précieux et inattendu dès qu’on en admettra seulement l’utilité éventuelle : on le verrait bien, si le grand empereur était venu au monde cinquante ou soixante ans plus tard !

Fouillez, je ne vous demande pas autre chose, la maison de Sylla ; vous y trouverez encore « le javelot qu’il avait à Orchomène et le bouclier qu’il porta sur les murailles d’Athènes. » L’empereur faisait embarquer en deux heures, sur sa flottille composée de mille deux cent cinquante bateaux plats, trois cents péniches, et un millier de bateaux de transport qui furent empruntés, les uns au cabotage, les autres à la grande pêche, 132,000 hommes et huit mille chevaux rassemblés, en vue de la grande invasion, dans les camps d’Étaples, de Boulogne, de Vimereux et d’Ambleteuse : en deux marées il eût pu les jeter sur les côtes d’Angleterre. Si le fameux tunnel en voie d’exécution existait sous la Manche, combien faudrait-il de wagons, de convois et de temps pour accomplir semblable besogne ? Chaque fois qu’il s’agira d’un transport considérable de troupes, les chemins de fer, opérassent-ils du centre à la circonférence, auront une infériorité notable vis-à-vis des flottilles.

On ne saurait trop distinguer les opérations de guerre tentées à de faibles distances de ces expéditions lointaines dans lesquelles la longueur de la traversée et les risques de mer commandent forcément l’emploi des navires de haut-bord. La flottille batave transporta, en 1805, d’Anvers à Boulogne, sur ses trois cent cinquante bateaux plats, 37,000 hommes et mille cinq cents chevaux ; les bateaux-bœufs du capitaine Hugon débarquèrent en 1830 sur la plage de Sidi-Ferruch la majeure partie des chevaux de l’expédition d’Alger. Pour descendre en Écosse avec 1,200 hommes d’armes, 20,000 sergens et quatre mille chevaux, le roi de France, Philippe de Valois, ne comptait employer que deux cents grosses nefs de cent quatre-vingts tonneaux, soixante nefs pescheresses de quarante-huit tonneaux et trente galées. Son illustre adversaire, Édouard III, parti d’Orwell à l’embouchure de la Tamise, amena en un jour, le 24 juin de l’année 1340, sur la côte de Flandre et dans les eaux du port de l’Écluse, 4,000 hommes d’armes et 12,000 archers, qu’il avait embarqués sur cent vingt vaisseaux, « nefs, balengiers et passengiers, » dit Froissart, sur « cent vingt cocche, » prétend Villani.

La flottille, pour des traversées aussi courtes, n’est pas tenue de tout emporter dans un seul voyage. Il suffit que la mer soit libre pour que les convois se répètent et se succèdent à très bref délai. Dans un temps où l’on n’hésite pas à mettre les chemins de fer dans son jeu, il semblerait étrange qu’on reculât devant l’emploi des