Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 54.djvu/573

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

victoire dans leur regard. Pendant ce temps, l’ordonnance générale se rectifie, les bâtimens tombés en travers se redressent, les vides se comblent et les divisions trop espacées se serrent l’une contre l’autre. La brise du large vient de s’élever ; un léger clapotis blanchit la crète des vagues.

Tout est prêt : Antoine et Octave sont remontés à bord de leurs galères prétoriennes. Les troupes laissées à terre couvrent, de chaque côté du goulet, les deux promontoires : Canidius, à droite, a rangé sur la côte de l’Acarnanie ce qui lui reste des légions asiatiques ; Taurus occupe, à gauche, avec les soldats venus de Tarente, la pointe que projette en avant le rivage de l’Épire. La flotte d’Antoine, d’un élan vigoureux, s’ébranle la première. Antoine est en tête avec Publicola ; Cœlius a été placé à l’arrière-garde ; Marcus Octavius et Marcus Justeius conduisent le centre. La ligne d’Octave serait trop facilement percée si elle essayait d’opposer son front mince à cette avalanche. Ses vaisseaux, ne l’oublions pas, sont des vaisseaux de construction légère : ce n’est pas seulement proue contre proue qu’ils ne peuvent lutter ; frapperaient-ils parle flanc les galères phéniciennes que leur éperon ne réussirait probablement pas à les percer. Les rostres romains ne se sont jamais attaqués qu’à des carènes fragiles ; on les a vus reculer devant la grossière architecture des Vénètes. C’est précisément l’aile droite, commandée par Octave, que menace la masse imposante qui débouche en ce moment du golfe : cette aile se rejette, brusquement et par un mouvement d’ensemble, en arrière. L’arène, d’abord étroite, insensiblement s’élargit. Les vaisseaux d’Antoine ne gagnent cependant qu’avec peine et avec une lenteur infinie du terrain ; ils ont à refouler une fraîche brise de nord, et les hautes tours dont leur pont est chargé offrent au vent une fâcheuse résistance. Octave n’en aurait pas moins tort de plier trop longtemps devant cette escadre empêchée ; il lui laisserait ainsi la faculté de se dégager peu à peu des entraves du détroit et de se développer sur un front tellement étendu qu’il deviendrait impossible de la déborder. Déjà Publicola tient avec l’avant-garde Agrippa en échec : Agrippa faisait mine de vouloir l’entourer ; pour déjouer ce mouvement, Publicola n’a pas craint de se séparer du centre. Octave voit sur ce point la mêlée engagée ; il reporte, sans plus hésiter, l’aile droite en avant.

On est trop porté à traiter dédaigneusement les armes de jet des anciens : nous savons le grand rôle qu’ont joué dans les combats de mer du moyen âge les arcs anglais et les arbalètes catalanes ; la bataille d’Actium ne fut pas un combat de choc ; ce fut, comme la bataille de l’Écluse et comme la bataille de Salerne, un combat d’artillerie ; les archers et autres gens de trait emportèrent l’avantage. Les liburnes d’Octave profitèrent habilement de leur marche supérieure,