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Sardaigne, où il faillit se perdre. Si l’on en croit Végèce et le capitaine Pantero Pantera, la saison pendant laquelle il fut jadis permis aux bâtimens à rames de tenter des expéditions ne laissait pas d’être assez limitée. « Du 20 mars au 20 mai, nous dit le savant auteur de l’Armata navale, la saison, dans la Méditerranée, reste encore équivoque ; elle se tient alors entre la sécurité et le péril ; du 20 mai au 24 septembre, la mer s’aplanit et la navigation devient beaucoup plus sûre ; du 24 septembre au 22 novembre, il faut une nécessité absolue pour qu’on ose s’engager dans quelque entreprise importante. » La flotte romaine avait déjà fourni sans encombre la majeure partie de sa course ; les côtes de Sicile venaient d’être signalées par les vigies ; encore quelques heures et les vaisseaux atterrissaient, 40 milles environ à l’ouest du cap Passaro. Les consuls avaient dès lors le choix entre deux partis : ils pouvaient, à leur gré, se retirer, ainsi que le conseillaient les pilotes, sur la côte qui s’étend du cap Passaro à Messine, et attendre, avant de quitter ces parages féconds en abris que la période douteuse fût passée, ou continuer hardiment leur route et profiter du prestige que leur assurait une victoire récente pour soumettre la plupart des villes répandues sur la côte qui regarde l’Afrique entre le cap Passaro et Lilybée. Ce fut malheureusement ce dernier parti que les consuls adoptèrent. La tempête les surprit devant Camarina. Il était trop tard pour essayer de doubler le promontoire qui les eût protégés ; le vent battait en côte et poussait les galères sur les hauts-fonds dont cette partie du littoral est semée. De trois cent soixante-quatre vaisseaux, il n’en échappa que quatre-vingts ; le reste fut submergé ou alla se briser contre les roches. Tout le rivage qui s’étend vers Sélinonte et vers Lilybée était couvert de débris et de cadavres.

Si jamais nous devons embarquer nos soldats sur des flottilles, nous les placerons dans de meilleures conditions : il peut y avoir sur une coque de noix, quand elle est bien construite, tout autant de sécurité que sur un trois-ponts. Après avoir recommandé la prudence aux bâtimens à rames, le capitaine Pantero Pantera se croit obligé d’ajouter : « Ces conseils ne concernent pas les galions et les naves, qui peuvent naviguer de tous temps avec moins de danger. » Le père Fournier nous fait cependant observer avec raison que, dans les mers étroites et sur les côtes dépourvues d’abri, ce ne sont pas les plus gros navires qui se tirent le plus aisément d’affaire. Si Ruyter, quand il partit de Berghen, après sa fameuse croisière dans les mers du Nord, eût commandé une escadre semblable à celles que nous employâmes au blocus de l’Escaut en 1831 et au blocus de la Jahde en 1870, il n’eût pu se réfugier dans l’Ems pour laisser passer le terrible coup de vent qui avait déjà